Les origines

La neige tombait en gros flocons duveteux sur ce petit village d’Allemagne où régnait une famille de noble qui avait comme domicile un grand manoir un peu à l’écart du village. Un marchand londonien venait régulièrement vendre ces babioles que les gens du village s’arrachaient à des prix exorbitants,  cependant les articles les plus rares et les plus coûteux étaient tout d’abord présentés aux nobles du village. Une famille très respectable qui n’avait cependant qu’une jeune fille et qui se devait de lui trouver un prétendant acceptable et surtout possédant une petite fortune qui viendrait garnir les coffres, car l’argent disparaissait plus vite qu’elle n’apparaissait.
Monsieur Karapets, le père d’Elena, trouva alors en ce marchand un fort bon parti pour sa fille. Ne se doutant aucunement de la vie de famille qu’Asher Flowrith avait déjà  à Londres, ce dernier omit bizarrement d’en faire part, trouvant qu’une deuxième relation si loin de la première pourrait être bénéfique pour les appétits sexuels et monétaires de cet homme vicieux. La relation dura un temps, Elena, dans l’obligation du mariage s’occupait de son nouveau mari. Il n’était pas un si mauvais bougre, un peu imbu de sa personne, mais il la traitait mieux que la plupart des hommes traitent leurs femmes. Cependant, lorsque l’inévitable fut annoncé, que madame Elena Karapets Flowrith fut enceinte et que la famille en joie annonçait la nouvelle au village, on ne vit plus trace du mari. Monsieur Asher Flowrith avait tout simplement pris la poudre d’escampette, ne laissant derrière lui que quelques effets personnels et un bout de papier où on pouvait y lire un simple pardon qu’Elena avait chiffonné rageusement lorsqu’elle le découvrit.
La grossesse se passa malgré tout sans embûche, le village était en ivresse car enfin un héritier allait naître dans ce village entouré de neige. Elena quant à elle gardait toujours en son cœur la honte et la frustration qu’avait planté en elle le rejet, cependant ses parents étaient moins hargneux, car ils caressaient en pensées les heures de joie qu’apporterait un poupon dans ce manoir si vide. Le travail dura toute une nuit, dès que la nouvelle sortit du manoir le village commença à s’animer. Des lanternes éclairaient les rues et les villageois sortaient en masse des chaumières. De la musique faisait danser les enfants et une délicieuse odeur de pain flottait dans l’air froid de la nuit, les adultes se réchauffaient avec de la bière et les enfants avec du lait chaud. La fête battait son plein lorsqu’au petit matin le médecin qui s’occupait de l’accouchement sortit de manoir et chuchota quelques mots à un des gardes près de la porte puis rentra à l’intérieur. Le visage joyeux du garde devint blême et avant qu’il ne pu dire quoi que se soit la rumeur s’était déjà propagée parmi la foule. La musique s’arrêta brusquement ainsi que le rire des enfants, on n’entendait plus que des chuchotements. Puis on entendit clairement dans la foule les mots tant redoutés: des jumeaux. Des jumeaux étaient nés, signe de malheur dans ce coin reculé du monde.
Les villageois se ramassèrent devant le manoir, les gardes étaient la seule barrière entre les bambins et la foule en colère qui réclamait la mort des nourrissons. Le père d’Helena sortit alors sur le balcon surélevé pour se tenir au-dessus de la foule et ainsi être bien entendu.

- Personne ne touchera à un seul cheveu de mes petits-fils, maintenant retournez chez-vous et que je ne vous revois plus!

La posture menaçante des gardes qui avaient sorti leurs armes finit de convaincre les villageois qui reprirent le chemin de leurs chaumières.

Une enfance pas si malheureuse

Les deux jumeaux, prénommés Yui et Fye grandirent reclus dans le manoir, ne sortant presque jamais à l’extérieur de la cour. Le village allait de mal en pis, cependant les villageois assez fortunés déménageaient et les autres accusaient les jumeaux de tous les malheurs qui s’y passaient. Un loup mangeait un mouton, c’était la faute des jumeaux. Une fillette se perdait dans les bois, la faute des jumeaux. Malgré cela les deux enfants n’en savaient rien, car ils grandirent à l’abri de la haine des villageois, dans le manoir. Ils étaient entourés d’amour car, malgré les superstitions, Elena aimait tendrement ces enfants. Yui, étant né le premier, fut nommé héritier de la famille Karapets. Fye quant à lui, étant plus libre se consacra à ses passions qui se dirigeaient presque toutes vers l’archéologie. Tandis que son frère aîné de trois minutes quinze occupait ses journées à devenir un héritier modèle, Fye passait tout son temps avec un vieil érudit venant d’un pays voisin et qui, par chance, ne croyait pas aux superstitions véhiculées par les villageois. Les années passèrent et les deux jeunes garçons grandirent sans porter attention au monde extérieur, heureux de leur cocon qu’était le manoir Karapets.

La fissure dans le cocon

Depuis maintenant douze ans que la famille Karapets se tenait séparée du reste du village, le père d’Elena voulait protéger à tout prix ses descendants de la fureur des villageois qui ne faisait que croître à mesure que les ans passaient. Fye commençait à vouloir voir le monde, mettre en pratique ce que le vieux sage lui avait appris avant qui celui-ci ne rendre l’âme. Des disputes éclataient régulièrement entre le jeune enfant de douze ans et le reste de sa famille, il ne pouvait que se confier à son frère qui était le seul à le comprendre véritablement. Cependant un incident malheureux mit fin aux disputes, Elena tomba très malade. La pauvre jeune femme agonisa quatre jours, souffrant d’une forte fièvre qui l’emporta au petit matin sous les regards effrayés de ses deux fils.
On la mit alors en terre dans le cimetière familial derrière le manoir, lorsque la cérémonie touchait à sa fin, un groupe de villageois s’étaient rassemblés près de la clôture de fer qui protégeait le cimetière de la forêt. Les villageois hargneux hurlaient des propos obscènes aux jeunes garçons, les accusant d’être la cause de la mort d’Elena. Leur grand-père commanda aux gardes de faire partir les villageois pendant que sa femme fit entrer Fye et Yui à l’intérieur. Rien ne fut pareil depuis ce moment-là, la joie qui animait cette noble famille s’était éteinte avec Elena.

La morsure empoisonnée

Les années passèrent et le temps semblait stagner autour du manoir, les garçons grandissaient néanmoins. Yui continuait son apprentissage auprès de son grand-père tandis que Fye vaquait à ses occupations d’apprenti archéologue et partait régulièrement du manoir pendant plusieurs mois. L’érudit qui lui avait tout enseigné s’était éteint quelques années après la mère des jumeaux sans toute fois oublier de confier Fye à un de ses collègues archéologues beaucoup moins âgés. Le plus jeune partait donc vivre sa vie d’aventurier, laissant le plus vieux aux obligations familiales. Yui partait donc avec son grand-père qui depuis la mort de sa fille avait recommencé à prendre ses obligations plus au sérieux. Ils allaient voir la haute société d’Allemagne, rendaient visite aux villageois qui ne manquaient pas de regarder avec rage et haine le pauvre jumeau.
Durant l’année de ses vingt-quatre ans, Fye partit pour sa première expédition solitaire à la recherche d’un artefact dans un coin reculé du pays. Le jeune homme fit une halte dans un petit village à l’orée de la forêt où devait se trouver l’objet convoité. Lors de son arrêt, une vieille femme qui semblait être la doyenne du village le mit en garde contre les hommes-loups qui gardaient cet artefact que l’on disait maudit. Fye ignora ces avertissements, la croyant sans doute folle, pourtant on pouvait lire beaucoup de choses dans le regard de la vielle, mais certainement pas de la folie. Fye eu un frisson en croisant le regard de la doyenne, mais cela ne fut pas suffisant pour le garder de partir à la recherche du trésor et le jeune homme s’engouffra dans la forêt pour ne plus y revenir totalement.
La nuit tomba beaucoup plus vite que Fye l’avait prévu, cependant le jeune homme voyait très bien, la lune pleine en cette belle nuit d’hiver éclairait son chemin dans la neige. Le nouvel archéologue marchait depuis quelques heures déjà lorsqu’il fit une pause pour se restaurer, le temps d’enlever son sac pour le déposer devant lui il n’entendit pas la bête arriver dans son dos. Un énorme monstre aux allures d’un fauve enragé lui déchiqueta le dos à coup de griffes et de crocs, Fye tomba sur le sol en hurlant de douleur. La souffrance causée par la bête lui fit voir trouble un instant, il vit seulement l’ombre menaçante du monstre s’éloigner lentement au son d’une voix claire de femme puis plus rien, qu’une souffrance qui ne voulait pas lâcher prise même dans l’inconscience.

L’homme-fauve

Le réveil fut brutal deux jours plus tard, les images saisissantes d’un loup gigantesque le déchirant lui apparaissaient régulièrement dans son sommeil. Fye se redressa subitement dans un lit de fortune, le corps en sueur et brûlant. Son regard bleu parcourut la pièce vide de la petite maison où il se trouvait, le bruit de pas derrière la porte le fit se lever d’un bond du lit, mais la douleur jusqu’alors endormie se réveilla subitement et le jeune homme ne put réprimer un gémissement de douleur qui le fit rester au lit malgré lui. Une vieille femme, la même qui l’avait averti de ne pas se rendre dans la forêt se tenait sur le bord de la porte, un bol de soupe entre ses deux vieilles mains fripées. Elle s’avança sans un mot et déposa le bol sur une petite table en bois près du lit puis elle sortit. Fye n’eut le temps que de se redresser qu’elle avait déjà disparu et fermé la porte.
Un peu plus tard, le bol de soupe terminé depuis un moment, la vieille femme entra à nouveau et cette fois s’assit sur le bord du lit. Fye la regarda avec méfiance, mais ne dit mot, elle expliqua alors ce qui lui était arrivé elle avait apposé un tatouage sur son dos, un avertissement, pour tout le monde sache que l’homme qui le portait était touché par une malédiction terrible, mais toutefois elle omit d’en faire part au jeune garçon. Fye rit des paroles de la vielle femme, la croyant encore une fois folle et mit sur le dos d’une meute de loups ses blessures qui pourtant avait presque déjà guéries.
Lorsqu’il fut en état de partir, le jeune archéologue fit ses adieux à cette ville folle qu’il trouvait tout de même sympathique et la remercia pour l’aide et l’hospitalité dont elle avait fait preuve. Arrivé chez lui, il fut accueilli par sa famille avec une grande fête en son honneur, cela faisait si longtemps qu’il était parti que tout le monde sauf Yui le croyait mort. La fête battait son plein, plusieurs nobles étaient présents ainsi que le peu de villageois encore amis de la famille lorsque Yui prit Fye à part, voulant s'enquérir des aventures de son frère. Le jeune homme lui raconta alors toute l'histoire, son l'avertissement, l'attaque et la vielle femme qui l'avait soignée. Durant son long récit, la lune s'était levée et remplaça le soleil dans le ciel, une lune pleine et sans nuages. Alors qu'il était sur la fin de son récit, Fye se sentit tout d'un coup nauséeux, une douleur intense le foudroya à la tête. Le jeune homme tomba au sol sur ses genoux, ses mains tenant sa tête tellement la douleur était forte. La musique s'était arrêtée et la foule de gens s'était approchée des deux frères pour voir ce qui se passait. Yui se tenait tout près de son frère, essayant de savoir ce qui se passait, mais Fye ne voyait plus rien autour de lui, seule la douleur qui avait atteint tout le reste de son corps était présente dans son esprit tourmenté. Sa chemise de soie commença à se déchirer, car le corps du jeune homme se métamorphosait lentement sous les yeux effrayés de la foule. C'est à ce moment qu'une femme aperçut le tatouage de Fye et le pointa en hurlant, la foule alors, d'un seul mouvement, recula. Tous savaient ce que voulait dire ce tatouage, le diable habitait maintenant Fye, la malédiction des jumeaux était réelle.
Yui était maintenant le seul à rester près de son frère souffrant, mais la transformation se complétait peu à peu et la conscience de Fye, son amour pour son frère s'estompait de plus en plus. Sa peau se recouvrit de poil blanc, ses pupilles bleues devinrent jaunes et des griffes effroyables lui poussèrent au bout de ses mains crispées. Son dernier hurlement de douleur se transforma en hurlement de loup lorsque sa transformation fut achevée, la foule s'était dispersée, s'enfuyant du monstre pour ne pas finir entre ces crocs. Seul Yui était resté dans le manoir, regardant avec effroi ce qui avait déjà été son jumeau. Le monstre se leva sur ses deux pattes arrière et se tourna vers le dernier être vivant présent. Le souffle chaud de la bête remplissait l'air devenu glacial de la pièce, Yui restait immobile, glacé d'effroi et ne respirant à peine. Fye, ou du moins ce qui en restait grogna et s'avança lentement, Yui croyait sa dernière heure arrivée lorsqu'un coup du destin peut-être ou une dernière parcelle de son frère restait dans le regard du loup, car le monstre se retourna et au lieu de s'attaquer à son frère se précipita vers la fenêtre et sortir à l'extérieur, défonçant le verre et une parcelle de mur. Le jeune homme gagna ce qui restait de la fenêtre pour voir l'ombre de son frère disparaître dans la forêt derrière le manoir. Yui courut alors, déterminé à retrouver son frère, chercher un manteau et malgré lui une arme, puis sortit à l'extérieur retrouver son frère.
Il le retrouva au petit matin, un corps nu dans la neige tâchée de sang vermeil. Yui posa son manteau sur son frère et le ramena au manoir, il déposa Fye dans son lit et le veilla jusqu'à ce qu'il reprenne conscience.

Et la mort passa...

Les jours passèrent et Fye ne se réveillait pas, le jeune homme se battait avec lui-même, tout en son intérieur voulait mourir, ne voulait pas faire de mal à quiconque et surtout à son frère, mais quelque chose le tenait en vie, peut-être la bête qui avait tout récemment élu domicile dans le corps du pauvre homme.
Il se réveilla à l'aube du cinquième jour de veille, Yui,  resté à son chevet, avait le regard livide et les yeux cernés. Yui fit une promesse à son frère, jamais il le laisserait tombé malgré le mauvais sort qui s'abattait sur eux, les deux frères se promirent e rester ensemble. Mais la vie en décida autrement.
Une nuit, tout juste quelques jours avant la pleine lune le village s'anima, les villageois avaient conversé longuement sur le sort qu'ils devaient réserver aux deux frères, ils étaient possédés par le diable, personne ne pouvait les laisser vivre. Le village était menacé depuis la naissance de ces enfants, ils devaient faire quelque chose. Les villageois se rebellèrent et sans le grand-père des jumeaux pour les défendre ils étaient seuls face à une foule haineuse. Les plus braves ou les plus couards entrèrent dans le manoir, ils découvrirent les deux frères dans une chambre à l'étage, Fye toujours alité. Les hommes défoncèrent la porte facilement et entrèrent dans la chambre. Yui se plaça devant son frère qui se leva difficilement pour se défendre, mais à peine eut-il le temps de se lever que Yui se débattait avec un des hommes qui tentait d'abattre Yui d'un coup d'épée. L'odeur de la mort planait déjà dans l'air lorsque l'épée transperça la poitrine du jeune noble, elle fut retirée et le corps tomba sur le plancher dans un bruit sourd. Fye hurla et se précipita par terre pour soutenir la tête de son frère agonisant. Les assassins voulurent faire subir le même sort à Fye, mais celui-ci lorsqu'il entendit le plancher grincer sous leurs pas se retourna vivement, son regard trahissait une folie ravageuse. Le manoir se mit soudainement à trembler, toute l'eau qui se trouvait à proximité entoura les jumeaux, puis fondit sur le groupe d'homme apeuré, les projetant en dehors de la pièce et brisant quelques côtes au passage. Fye n'en croyait pas ses yeux, mais la respiration de plus en plus faible de Yui le ramena au moment présent. Le jeune homme regardait son frère agoniser sans savoir quoi faire, ses yeux bleus remplis de larmes il vit la vie s'éteindre dans ceux de son frère.

La fuite vers ses origines

Fye dût fuir, il rejoignit le seul endroit où il pouvait peut-être avoir un lien avec quelqu'un: Londres. Il dut parcourir une longue distance à cheval, son village étant éloigné de la mer. Il voyagea ensuite sur un bateau, troquant plusieurs objets de valeurs appartenant à sa famille depuis des générations. Lorsqu'il arriva enfin à Londres, il ne lui restait plus que son épée et sa dague, souvenir familial qu'il n'aurait laissé partir pour rien au monde. Fye se mit alors à la recherche de son père biologique, il ne l'avait jamais vu, mais il avait au moins son nom.
Fye chercha quelque temps, mentionnant le nom de Flowrith un peu partout où il passait. Le jeune homme eut enfin sa réponse un mois plus tard alors qu'il traînait dans une taverne peu fréquentable. Une demoiselle aux vertus légère s'approcha de Fye lorsqu'elle entendit celui-ci discuter avec le barman. Elle lui expliqua que l'homme qu'il cherchait venait souvent la rendre visite avant qu'il décède et qu'elle allait également lui rendre visite à sa demeure, elle lui donna l'adresse et par la même occasion lui donna son nom et ses heures de travail. Fye la remercia poliment, à sa sortie de la taverne il mémorisa l'adresse et jeta le bout de papier. Il se rendit à la demeure de son père et découvrit qu'il avait une femme et une fille ce qui ne l'étonna aucunement, il discuta un moment avec la femme qui semblait être une femme aigrie et hautaine, il réussit à lui soutirer quelques informations utiles comme le nom du notaire qui réglait la succession.
Tout l'argent lui revint, car il était le plus vieux fils de Flowrith, Fye en profita, le jeune homme laissa la gérance de sa fortune nouvellement acquise à un comptable, ne prenant que le nécessaire pour voyager. Fye voulait découvrir comment tuer sinon dompter la bête qui se réveillait en lui les nuits de pleine lune. Ses voyages le menèrent un peu partout dans le monde, il recommença à traquer des artéfacts, aimant les fouilles archéologiques et souvent il pouvait combiner fouille et recherche sur les loups-garou. Après plusieurs années Fye découvrit avec stupéfaction et avec tristesse qu'il ne vieillissait pas, trop lâche pour en finir lui-même il avait espéré au moins que le temps s'en chargerait, mais ce ne fut pas le cas. Les années passèrent et Fye revint à Londres avec ses recherches et ses objets de valeurs, il se fit passer pour le petit-fils de Fye pour ainsi récupérer l'argent qui avait beaucoup fructifié au cours des deux cents dernières années. Fye reprit la maison familiale à l'abandon et la fit rénover, il légua la plupart de ses artefacts au National Museum où il devint un professeur et un historien réputé.