Lucia di Lammermoor de Gaetano Donizetti.
Tel était la représentation de ce soir au Royal Opera House de Londres dans la salle principale. Une pièce ambitieuse, glorieuse que beaucoup de nobles allait admirer ce soir là. C'était pourtant un livret assez récent mais qui avait eu assez vite un certain succès, d'autant que l'histoire était basé sur un roman anglais. Les Londonien avait donc très vite voulu qu'une représentation se tienne à Londres, et pour une pièce italienne comme celle ci, Rosalia fut choisi sans tergiverser davantage.
La Hunter était très heureuse d'avoir le rôle principale, celui de Lucia pour cette pièce, d'autant qu'un passage en particulier, appelé la "Mad Scene" avait la réputation d'être très dure à interpréter. Mais la Hunter n'avait pas froid aux yeux et s'était entrainée durement pour atteindre le niveau d'une telle prouesse vocale.

La représentation allait bientôt commencer et la plus grande salle de l'Opéra commençait à se remplir alors que la soprane se préparait dans la loge des artistes. Évidemment, elle était stressé. Qui ne le serait pas autant devant une représentation d'une telle ampleur. Mais Rosalia tentait de se rassurer en s'imaginant des vampires dans la salle bluffé par sa performance vocale. Oui, car la miss italienne était quelqu'un de fière et elle ne doutait jamais de ses capacités, surtout en matière de chant. Et le fait d'imaginer ces créatures de la nuit complètement absorbé par son don la faisait rire plus que jubiler, s'amusant de leur ridicule. Après tout, pourquoi ne pas les imaginer la bouche grande ouverte ? C'était tellement risible.
Le metteur en scène entra une énième fois dans les coulisses pour rappeler tout le monde à l'ordre, ce qui, Rosalia le savait était plus un moyen de se calmer les nerfs qu'autre chose. La soprane perçu enfin les échos de l'orchestre qui se préparait, les cordes résonnant en une cacophonie charmante avec les cuivres et les vents. Elle ferma un instant les yeux pour écouter ces mélodies dissonantes avec plaisir et soupira profondément avant de se lever, regardant une dernière fois dans la glace si son costume et sa coiffure était impeccable. Le metteur en scène revint et la complimenta avant de recommencer son concert de jappement alors que tout le monde se préparait à entrer sur scène.

Enfin, l'abondant public était installé et le rideau s'ouvrit après une ouverture magnifique de l'orchestre. Les chanteurs et cantatrices jouaient à la perfection et la mise en scène prodigieuse captiva son public, même si dans le lot, il y en avait toujours qui discutait d'affaires ou observaient leur voisin avec une très grande curiosité. Cependant, nul dans cette salle ne put oublier Rosalia qui avait décidément une vraie présence sur scène.
Quand vint le passage de la scène de folie, tous furent cloué à leur fauteuil par la puissance des émotions retransmises par l'italienne autant que par la magnificence de sa voix. Ses cheveux longs éparses qui recouvraient ses épaules et se secouaient sauvagement à chaque mouvement de tête brusque de leur propriétaire, sa robe de mariée couverte de sang et sa dague en main qui avait commis le meurtre de son fiancé alors qu'elle déclamait à la foule qui l'entourait, les visions de son amant perdu. Rosalia avait une prestance impressionnante, telle une bête sauvage, elle semblait farouche dans sa folie et passait du rire aux larmes sans discontinuer. Et enfin, quand elle termina sur une dernière vocalise monumentale, toute la salle applaudit une telle performance... même ceux qui étaient occupé à faire autre chose qu'à suivre l'opéra.

Ce dernier se poursuivit sans aucune encombre jusqu'à la fin. Les chanteurs saluèrent puis on demanda au chef d'orchestre de monter. Rosalia observa ce dernier avec une certaine attention. En effet, c'était un remplaçant, le chef d'orchestre prévu étant tombé subitement malade. Ce dernier était plutôt inhabituel, un teint pâle, des cheveux longs ondulés blond platine et des yeux hypnotisant... mais qui était loin d'être humain. Qu'importe pour Rosalia, tant qu'il n'était pas sur sa liste. Et il était vraiment élégant et attirant, quoiqu'un peu bougon visiblement.
Tous les chanteurs retournèrent dans les coulisses, visiblement tous enthousiaste par la représentation qu'ils avaient donné, le metteur en scène les rejoignant pour ouvrir une bouteille et serrer Rosalia dans ses bras. Cette dernière éclata de rire malgré sa fatigue et tout le monde partit dans un grand élan de liesse. Pour une première, c'était vraiment sensationnel et nulle doute qu'ils allaient continuer sur leur lancée pour les prochaines dates.
Alors que Rosalia se démaquillaient et et se recoiffait, l'un des chanteurs s'approcha d'elle. Le jeune qui avait joué Edgardo, l'amant de Lucia, ne put que remarquer le nombre important de bouquets généreux adressé à la chanteuse.

- Tu as du succès, dis moi. dit Lewis avec un sourire un peu gêné.

Rosalia le regarda grâce au miroir et lui sourit, s'activant à attacher ses cheveux convenablement, ce qui visiblement n'était pas une mince affaire.

- Oh, tu les connais depuis le temps, Lewis. Il y a toujours des gentilshommes qui cherchent à devenir mes mécènes. Mais je ne suis pas bête et plus que ma voix, je sais que ce sont mes jolies formes qui les intéresse.

Lewis admira un instant avec quelle aisance la jeune femme parlait de ces choses là. Le fait qu'elle soit émancipée totalement des hommes avait attiré beaucoup de messes basses venant de certains de la troupe mais Lewis avait toujours trouvé cela plus qu'admirable.

- Dis moi, hmm... On pourrait aller boire un verre, tout à l'heure. Enfin, chez moi si tu veux... bredouilla le jeune homme, visiblement gêné.
- Chez toi ? Tu veux dire... Dans ton taudis..? répondit elle en ricanant, moqueuse. Je te taquine. Bien sûr que j'aimerais, j'ai la gorge toute sèche !

Elle se leva et récupéra ses affaires. L'une des cantatrices la regarda et lui tapota l'épaule.

- Rosalia, tu oublie tes bouquets !
- C'est volontaire, Mary. Je ne vais pas pouvoir tout transporter chez moi. En plus, je n'ai pas assez de vase ! Je ne suis pas botaniste ! Prends en si tu veux !

La chanteuse la regarda avec perplexité puis sourit, la remerciant en riant et récupérant un bouquet de rose alors que d'autres venaient récupérer le reste de bouquet. Rosalia attrapa le bras de Lewis et lui sourit, s'amusant de voir le jeune homme s'empourprer.

- Et bien allons y, Edgardo !
- Bien sûr, Lucia, ma tendre... répondit il en souriant.

Le couple sortit de l'Opéra, riant et parlant de banalité comme des enfants. Mais arrivé au fiacre, Rosalia se rendit compte qu'elle avait oublié son chapeau dans les coulisses. Elle demanda à Lewis de l'attendre alors qu'elle promettait de faire vite et courut jusqu'aux coulisses. Là elle trouva son chapeau par terre et pesta, quelqu'un ayant du le renverser en sortant. Elle l'époussetait quand elle entendit une douce mélodie jouée au violoncelle venant de la scène. Pourtant il n'y avait aucun autre spectacle prévu pour ce soir là. Affreusement curieuse, elle monta les marches discrètement jusqu'à la scène et, dissimulée à moitié derrière le rideau, elle fut surprise de voir le chef d'orchestre qui était en train de jouer du violoncelle sur la scène, devant des banquettes vides. Elle l'écouta un moment, souriante, jusqu'à ce qu'il s'arrête un instant. Alors la cantatrice applaudit doucement pour montrer sa présence au vampire si il ne l'avait pas déjà sentie. Elle s'avança un peu, sa longue robe noire et blanche aux dentelles ravissantes frottant doucement sur la scène couverte de pétales de fleur.

- Admirable vraiment. Je ne savais pas que notre nouveau chef d'orchestre était en plus si bon musicien, vous faites un excellent remplaçant et ce n'est pas peu dire...

Elle regarda la salle vide en posant ses mains sur ses hanches, son sempiternel sourire aux lèvres.

- Vous aimez jouer seul, monsieur... ..?

S'il y avait bien une chose que Wynn ne supportait pas, c'était bien qu'on l'importune alors qu'il était occupé. Il n'avait plus que quelques jours pour terminer la commande du Comte Keïsuke, et son esprit perfectionniste l'avait rattrapé. Pas une rature, pas une boule de papier chiffonné je jonchait le sol, mais il pouvait parfois rester une heure devant la partition, se demandant si tel ou tel accord correspondait mieux au caractère de la pièce.
Pourtant, il ne lui restait que la moitié d'un acte à achever. Mais il voulait un final grandiose, à la hauteur de ce que lui même imaginait pour une pièce de cette envergure.

Et alors qu'il était enfermé chez lui, en pleine composition, on était venu le trouver, le priant de remplacer à la dernière minute un chef d'orchestre mystérieusement absent. Le vampire avait résisté à la furieuse envie de claquer la porte au nez du messager, mais s'était finalement ravisé. Il fallait maintenir ce masque pacifique en place, et il n'y avait que la musique, pour ça. Sa réputation d'assassin commençait à le rendre un peu trop célèbre, si bien qu'il multipliait depuis peu les prestations musicales et autres créations personnelles, afin de ne pas éveiller les soupçons. Il n'avait aucune envie d'être ennuyé par une enquête policière ou pire, par les hunters.

C'est donc avec un profond soupire exaspéré qu'il avait accepté cette mission délicate, se fichant totalement de l'argent que lui promettait le messager. Ce qu'il voulait, c'était maintenir sa couverture, par n'importe quel moyen. Il renvoya le commis, lui promettant d'être présent à la représentation.
Wynn laissa de côté ses partitions, les confiant à Maria pour qu'elle les porte au Comte. Il s'empressa de se changer pour adopter une tenue plus conventionnelle, laissant de côté sa discrète tenue d'assassin pour adopter la traditionnelle queue de pie. S'emparant du conducteur que lui avait confié le messager, il le parcouru rapidement des yeux. Lucia di Lammermoor... Un sourit se dessina sur ses lèvres. Il espérait que cette Lucia d'un soir aurait suffisamment de talent pour transcender son personnage...

Le vampire jeta sa veste sur son épaule, attrapa son violoncelle par réflexe et sortir de chez lui, l conducteur sous le bras. Il traversa les rues de Londres tel une ombre, marchant à une vitesse qui aurait pu paraître déraisonnable pour un humain. Lorsqu'il parvint à la salle, il gagna les coulisses en se faufilant entre les acteurs et machinistes, jusqu'à trouver le metteur en scène.
Celui ci le dévisagea d'un air suspicieux en lui indiquant la scène et les directives à prendre.
Wynn l'écouta sans prononcer un mot, simplement attentif, puis il gagna la fausse, où il trouva l'orchestre. Il échangea quelques mots avec les musiciens pour en savoir un peu plus sur leur façon d'interpréter la pièce, puis il gagna son estrade en silence.
Il n'avait jamais aimé diriger. Il était musicien avant tout, compositeur à ses heures, mais la direction l'ennuyait horriblement. Son seul instrument était cette fine baguette de bois dans sa main droite... Et s'il allait être responsable en partie de l'interprétation musicale de la pièce, il trouvait son rôle plus qu'ingrat. Pourtant, il sentait peser sur lui des regards envieux de la part d'autres musiciens...

Imperturbable, il fit un geste vif et précis, et l'orchestre commença l'ouverture. Les timbales suivies des cuivres firent taire le public, et un silence religieux envahit la salle. Du moins un silence approximatif. Jetant un coup d'oeil sur le côté, Wynn fixa un instant les importuns qui osaient troubler la pièce par leurs bavardages, du haut des loges. Certains ne venaient là que pour se pavaner et se raconter les derniers potins, nullement pour apprécier la musique.
Toujours aussi calme, Wynn se contenta de mener l'orchestre comme s'il y était parfaitement habitué. Dissimulé par la scène, il avait du mal à voir les chanteurs, et n'y apportait d'ailleurs aucune attention, si ce n'est une attention purement musicale. Il devait même reconnaître que les chanteurs étaient particulièrement doués, ce soir là.
Il était curieux de savoir qui était l'interprète de Lucia. Wynn avait rarement entendu un timbre aussi pur et aussi juste, chez une humaine...

Lorsqu'arriva la scène qu'il attendait avec une étrange impatience, il s'autorisa un regard plus attentif vers la scène, pour observer cette chanteuse qui l'intriguait tant.
Il faillit en perdre sa mesure et sa concentration. Ses yeux s'écarquillèrent un instant, alors que machinalement, ses mains continuaient à diriger l'orchestre.
Il eut l'impression de revenir presque 230 ans en arrière. Les mêmes boucles couleur chocolat, si douce lorsqu'il y glissait les doigts, de yeux noisettes qui ici brillaient de folie, mais qui l'avaient jadis couvés d'un regard tendre et malicieux... Les mêmes pommettes hautes piquées de tâches de rousseur, lui donnant cet air si espiègle, et ce sourire... Dès que la chanteuse souriait, Wynn semblait y voir Elizabeth, sa défunte fiancée.
Pourtant, il avait lui même enterré le corps exsangue de la jeune femme, il l'avait vu morte, sa robe beige et or couverte de son propre sang, et son visage crispé en une expression d'horreur si pure qu'y songer à nouveau fut étrangement douloureux pour le vampire.
Cette sensation qu'il avait dans la poitrine, il la haïssait tout autant qu'il haïssait sa propre faiblesse. Et ce sang couvrant la robe de mariée devenue folle, bien que factice, réveilla en lui l'appétit du vampire qu'il était.
Il ne put que détourner les yeux, perturbé par cette vision soudaine. Il n'avait jamais vu de femme ressemblant à ce point à Elizabeth. La cantatrice était plus grande et plus élancée, alors que sa fiancée avait été assez petite et aussi menue qu'une enfant, mais la ressemblance était tout de même frappante.

Se reconcentrant sur l'orchestre, Wynn acheva la pièce, et supporta les vingt bonnes minutes d'applaudissements qui suivirent. Il salua cinq, six fois l'orchestre, vit les chanteurs faire de même une bonne dizaine de fois, et enfin il put quitter la salle.
Ayant regagné les coulisses, il ne savait pas trop s'il devait ressentir une certaine joie à avoir vu un sosie parfait d'Elizabeth, ou s'il devait justement s'en inquiéter. Après tout, s'il la tuait, il n'aurait plus à se poser la question... Mais en avait-il vraiment envie? Pour la première fois depuis qu'il était vampire, il hésitait.
Wynn attendit que la salle et les coulisses soient totalement vides pour jeter un coup d'oeil à la scène. Plus personne. Rien que lui et le silence, chose qu'il appréciait tout particulièrement, et dont il avait besoin. Portant son violoncelle et son archet jusqu'à la scène, il le posa pour aller chercher une chaise et s'installa.
Il ne faisait pas très attention à ce qu'il jouait, tout ce qui lui passait par la tête était forcément bon pour apaiser ses sens.
Il admira simplement les magnifiques symboles argentés qui brillaient à la surface en érable couleur ébène de son instrument. Il parvint presque à oublier cette étrange rencontre, qui ne lui fut rappeler que par ses revolvers lui brûlant le dos, avides de sang frais. Il se rendit compte que pour une fois, il aurait eu mieux fait de les laisser chez lui...

Alors qu'il jouait, son attention fut attirer par un mouvement et une présence qu'il perçut derrière les rideaux. Un sourire se dessina sur ses lèvres, mais il continua à jouer comme si de rien n'était.
Lorsqu'enfin il se tut, relevant les yeux vers les coulisses, il entendit quelqu'un s'approcher, et son sourire se ternit une seconde. Il n'avait pas pensé la revoir. Du moins pas si tôt...
Souriant à nouveau, il posa ses étranges prunelles sur la jeune femme. Elle était aussi belle sinon plus qu'Elizabeth. Et il se serait donné des gifles pour avoir osé les comparer. Mais l'oubli lui semblait trop difficile, et l'entreprendre ne lui était jamais venu à l'esprit.
D'une voix grave et douce, il se contenta de répondre.

-Vous m'avez démasqué. Je ne suis pas chef d'orchestre, je ne suis qu'une humble violoncelliste apportant son aide à votre directeur. Je ne vous suivrai malheureusement plus lorsque le chef sera revenu.

Le vampire posa son violoncelle au sol et l'archet sur la tranche de l'instrument, et se leva. Il avait vu juste, elle était un peu plus grande, même s'il l'a dominait de vingt bons centimètres. Et elle avait un léger accent latin qu'il aurait put prêter sans problème à l'Italie.

-L'avantage lorsque l'on joue seul sans public, c'est que l'on a pas à supporter les commérages et autres parasites des spectateurs..., et il ajouta avec un sourire, Votre prestation était remarquable, madame... Je vous avoue avoir été impressionné par votre talent...

Madame, mademoiselle... A vrai dire il n'en avait aucune idée. Dans le pire des cas, elle le corrigerait et il n'aurai pas à en faire tout un drame. Car c'est avant tout sa voix qui l'impressionnait. La musique avait toujours su le séduire avant tout attraits physique, chose plutôt ironique chez un vampire.
Il se pencha légèrement et tendit la main à la jeune femme, comme tout gentleman qui se respecte... Chose qui l'étonna lui même.

-Je m'appelle Wynn Leichenhalle. Nous n'avons pas été présentés, je crois...

Etrangement, son regard ne se fit ni charmeur ni sournois. Juste une lueur affamée qui passa un instant dans son regard, avant de s'éteindre. S'étant approché de trop près, il avait sentit le parfum étrange que dégageait cette femme, un parfum qui lui était encore inconnu, et qu'il se serait empressé de goûter s'il n'avait pas eu le réflexe de se contenir.
C'était plus fort que lui, pour une fois ce soir il se comporterait peut-être un peu plus normalement... Surtout il espérait qu'elle serait assez naïve pour ne pas comprendre qu'il était tout sauf un homme ordinaire... Mais pour ça, il y avait peu d'espoirs.

Rosalia eut un sourire quand elle vit le regard du pseudo chef d'orchestre. Ces yeux si particuliers ne pouvaient résulter d'une quelconque maladie naturelle, elle en était persuadée à présent, sa nature ne faisait aucun doute : c'était un vampire. On ne pouvait se tromper quand on était Hunter, surtout face à un teint si blafard et une lueur si malsaine dans le regard, si assoiffé. Cependant, l'italienne remarqua une certaine mélancolie dans ce regard si étrange. Bien qu'elle ignorait d'où cela lui venait, elle en fut intriguée plus que de raison, curieuse comme elle était.

Tout cela attisait encore son désir d'en savoir plus sur ce charmant vampire qui pour le moment, n'avait montré aucune forme d'agressivité. Tant mieux, tant que celui ci se tenait à carreau et ne se jetait pas sur elle toute canine dehors, elle n'avait pas à s'en faire. Elle aurait pu le prévenir tout de suite de son véritable métier mais, Rosalia adorait maintenir un peu de mystère et de suspens, cela ne rendait le jeu que plus délectable. Aussi garda t-elle son masque de jeune chanteuse charmante, battant des cils par moment aux paroles de son homologue.

- Humble, humble... C'est vite dit, vous ne trouvez pas. Vous avez un certain talent, il serait inutile de n'en faire profiter que les sièges et le plafond.

La cantatrice eut un rire et se déplaça jusqu'aux rideaux, inspectant les décors qui avaient été rangé afin d'être ressortie le lendemain pour le prochain spectacle. Sans la lumière des projecteurs, ce n'étaient que des ombres parmi les ombres, menaçantes et aux formes extravagantes.

- Oh, je vous comprend très bien. C'est dure au début de s'habituer à ces gens là, qui ont des oreilles mais ne s'en servent pas. Pour moi ce ne sont que des ignorants, rien de plus...

Rosalia se tourna ensuite de nouveau vers son interlocuteur avec un sourire. Plus elle le regardait, plus elle le trouvait charmant. Son port altier, sa démarche assurée, elle étudiait chacun de ses gestes pour analyser sa personnalité et aussi accessoirement pour repérer d'avance tout comportement agressif ou prêt de l'être. Mais rien de tout cela ne transparaissait pour l'instant et elle en fut fort aise. La voix sombre du violoncelliste résonnait avec un son admirable dans la salle, et Rosalia appréciait l'acoustique qui donnait encore plus de prestance à son compagnon.

- Mademoiselle ! Je vous remercie, très cher. C'est très aimable de votre part. Mais si je puis me permettre, votre orchestre a également été admirablement mené... même si vous étiez plus captivé par ma personne que par autre chose durant le spectacle. dit elle en un petit rire contenu, le taquinant.

Rosalia vit qu'il lui tendait la main et donna la sienne avec un certain plaisir non feint, même si elle avait remarqué l'éclat sauvage qui était passé dans les yeux du vampire. En guise d'avertissement innocent, elle se mit à faire tourner son collier en forme de croix entre les doigts de sa main libre.

- Wynn Leichenhalle..? Voilà un nom peu commun dans notre cher cité. Je suis Rosalia Rocelli si vous n'avez pas vu mon nom écrit sur les affiches dehors.

La cantatrice se mit alors à tourner autour de Wynn comme un vautour, faisant son petit numéro de charme habituel qui était devenu plus un réflexe qu'une réelle intention de séduire. Cela venait sans doute de son côté vampire, mais elle ne s'en était jamais plaint.

- Quel dommage que vous ne puissiez continuer les représentations avec nous... J'espère vraiment que ce cher bon monsieur Burton ne se remettra pas de sa maladie ! Oh, que je suis glauque parfois !

Elle ricana et alla regarder l'instrument de Wynn avec intérêt. C'était un violoncelle de grande qualité, elle se demandait si ce jeune vampire était noble ou bourgeois pour avoir pu s'en procurer un. Puis, on entendit des pas dans les coulisses et une voix qui appela Rosalia. Lewis Jenkins arriva alors sur la scène et sembla plus que mécontent de voir celle qu'il avait voulu invité en train de discuter avec un homme qui le surpassait en classe et de loin, surtout un chef d'orchestre. Ce n'était pas le même standing qu'un jeune ténor.

- Rosalia. Tu m'avais dit que ce ne serait pas long, je me suis inquiété...
- Oh mon pauvre chéri, je suis dééésolée mais monsieur Leichenhalle est quelqu'un de passionnant.
- ... Vraiment..?

Lewis dévisagea Wynn avec une certain hargne et une jalousie palpable.

Rosalia ne fut pas surprise de voir ce cher Lewis Jenkins faire son entrée, car cela devait faire un bon quart d'heure qu'elle était entrée dans le bâtiment et il avait du s'inquiéter. C'était certes un jeune homme très sympathique et assez mignon, mais la jeune cantatrice le voyait surtout comme un petit frère qu'autre chose et de toute façon, n'était pas décidée à partager sa couche avec lui ce soir là. Aussi, elle n'eut pas vraiment de remord en songeant qu'elle allait gentiment le congédier pour rester avec ce curieux vampire. Si pour lui c'était un jeu, alors Rosalia aussi aimait jouer car elle avait bien l'intention de le chercher pour voir si il était capable d'aller jusqu'à essayer de la mordre. Elle faisait souvent cet effet là au vampire de part son "sang mêlé", aussi ne devait il pas être si différent des autres. Elle sentait que ça allait être particulièrement comique dans les prochaines heures, d'autant qu'elle gardait toujours un pistolet à balles d'argent dans les plis de sa robe. Il voulait l'inviter à boire un verre, vraiment ? Comme c'était touchant. Rosalia ne put s'empêcher d'avoir un sourire, un peu narquois sur les bords certes, mais qu'elle fit passer pour un sourire charmeur.

Lewis était resté immobile pendant que Wynn lui parlait, tendu et les poings serrés. Quand ce dernier lui tendit la main, il la regarda mais ne la serra pas, lançant un regard peu aimable à son interlocuteur. Non seulement, il était jaloux de ce bellâtre qui faisait des avances à sa chérie mais en plus, sa jalousie lui donnait une perception toute particulière. Il sentait que cet homme n'était pas net et faisait bien en sorte de lui faire comprendre, croisant les bras d'un air perplexe en levant un sourcil. Lewis avait des cheveux noirs assez courts et de grands yeux noisettes particulièrement doux en temps normal. Il n'était pas très grand ni très musclé mais avait tout de même un corps relativement bien battit.

- Ah Oui. Plutôt... remplaçant chef d'orchestre, non..? dit il avec un ton sarcastique à l'intention de Wynn.

Cette rivalité naissante entre les deux hommes amusa beaucoup la jeune femme. Elle adorait voir des hommes se battrent pour elle même si évidemment elle ne s'en ventait pas sous tout les toits. Mais c'était flatteur de voir qu'on était désiré à ce point. Seulement, elle craignait pour la vie de ami et préféra coupé court à leur duel silencieux. Rosalia attrapa donc le bras de Wynn, l'enlaçant doucement en usant de tout son charme et de sa voix suave pour faire changer la donne.

- Oh, je suis navré, mon chéri. Mais j'avais une foule de question à poser à notre remplaçant chef d'orchestre. Ca ne te dérange pas qu'on remette notre soirée à plus tard ? demanda t-elle en battant des cils.

Lewis ouvrit la bouche pour répliquer quelque chose puis se ravisa et grommela un "oui" presque inaudible. Attendrie, la cantatrice lâcha Wynn et vint lui déposer un baiser sur la joue en riant gentiment.

- Merci, tu es un ange ! Je te promets qu'on se fera une sortie bientôt ensemble !

Le chanteur s'empourpra et eut un sourire que d'aucun qualifierai de parfaitement niais, en regardant ailleurs, gêné. Puis Rosalia repris le bras de son vampire de compagnie et le poussa jusqu'à la sortie une fois que ce dernier eut récupéré son instrument. Elle n'avait vraiment pas envie que Wynn se jette sur son ami et le vide de son sang.

- Alors, hmm... Où m'emmenez vous donc, bel inconnu ? Je suis curieuse ! Oh, et dites m'en plus sur vos origines, je ne suis jamais allé en Roumanie ! Comment est-ce là bas ?

Une fois dehors, l'étrange et inhabituel couple constitué du vampire et de la Huntress se mit à marcher dans les ruelles sombres, et à cette heure quasi déserte, de Londres. Rosalia écoutait le récit de son interlocuteur, toujours les bras entourant celui du vampire avec lascivité. Elle lui souriait et le regardait avec son éternel regard charmeur, étudiant le moindre de ses mouvements, le moindre de ses tics, cherchant à percer l'hypocrisie du vampire pour y découvrir le prédateur qu'il était.
Non, décidément, sa tête ne lui disait rien du tout. Il n'était pas dans ses registres, pour sûr, et l'italienne n'avait donc aucune raison de l'attaquer et de le tuer. Quand bien même, si ce dernier montrait le moindre signe d'agressivité, elle se verrait dans l'obligation de refroidir ses hardeurs. C'est que ces bêtes là sont quasiment imprévisible et peuvent laisser leur côté bestial ressortir d'une seconde à l'autre quand ils avaient vraiment faim. Et d'après ce que voyait Rosalia, ce cher Wynn n'avait pas mangé depuis un certain temps. Elle le remarquait à quelques détails, notamment quelques fissures dans son masque de bonté par moment, des petits traits nerveux, des détails qui passaient inaperçu pour des humains normaux. Mais Rosalia n'était pas normal, cela va sans dire...

- Hmm... Des légendes, dites vous ? Comme celle d'un certain souverain qui empalait ses ennemis sur des pieux ? En effet, j'en ai entendu parler... C'est très morbide mais je suis assez passionnée d'histoire. Poursuivez !

Ah ! Serait ce un petit indice que ce cher vampire avait deviné sa double identité ? Ou bien jouait il avec ce qu'il semblait être sa proie innocente ? Cela fit rire Rosalia intérieurement mais elle penchait plutôt pour la première option. Après tout, il faudrait être aveugle ou carrément myope pour ne pas remarquer que la lady était loin d'être innocente comme ces filles de bonnes familles qu'elle avait l'habitude de voir à l'Opéra. Et elle n'en avait nullement honte ! Rester une poupée au bon vouloir de ces messieurs, très peu pour elle. Son oncle, qu'on jugeait certes comme un anarchiste sans aucun principe, lui avait appris à ne pas se laisser influencer par ce que veulent les autres mais parce que elle voulait. Et ce n'était pas parce qu'elle était une femme qu'elle n'avait pas le droit de vivre comme elle l'entend. Aussi, elle avait vécu en marginale mais cela lui plaisait. Au moins, personne ne lui donnait d'ordre et elle gagnait sa vie par elle même.

La cantatrice sortit de ses songes pour écouter la suite du récit de son interlocuteur, lui souriant aimablement tout en l'accompagnant toujours. Ils atteignirent bien vite une ruelle non fréquentée à cette heure et elle commença à se demander où il l'emmenait. Non pas qu'elle s'inquiétait mais elle n'avait pas l'intention de crapahuter dans tout Londres avec une robe neuve et propre. Cependant, Rosalia sentit quelque chose changer chez Wynn, un mouvement très rapide mais qui suffit à la jeune femme pour lâcher son bras. Le chef d'orchestre venait de lâcher son violoncelle qui se posa sans un bruit sur le sol et avait plaqué ses mains des deux côtés de la tête de la jeune femme, sur le mur glacé et humide contre lequel elle s'était réfugiée. Non pas qu'elle avait eu peur, au contraire, elle avait juste été un peu surprise par une telle vitesse mais là où un humain n'aurait rien vu venir, ses quelques sens vampiriques lui avaient permis de lâcher le bras du violoncelliste et de tenter un replis.
A présent, le vampire la fixait de ses yeux sombres, ses prunelles lilas semblant s'illuminer dans l'obscurité et Rosalia, pour toute réaction, continua de lui sourire. Certes, son sourire était un peu plus crispé et ressemblait plus à un rictus goguenard qu'à un sourire aimable, ses yeux plissés dans une expression amusée. Elle lui répondit avec un petit rire narquois, venant lui caresser le menton du bout de ses longs doigts.

- Oh, vous avez percé mon petit jeu, monsieur le vampire ? Quel intelligence, vous êtes bien le premier... Moi qui pensais que votre espèce n'était constitué que d'attardés...

Sa voix était plus sombre et plus sarcastique, signe qu'elle avait laissé tomber son masque innocent devant le vampire, révélant une attitude beaucoup plus vampiresque sans doute aux yeux de son interlocuteur. Elle vint effleurer les lèvres de Wynn du bout des ongles en continuant de lui sourire, remarquant son revolver qui s'était retrouvé dans la main du bellâtre.

- Toutes mes condoléances pour votre gentille famille... Quant au reste, je vous ferai humblement remarquer que, quand on a des yeux aussi... étranges, il est très facile de deviner votre nature. Sans parler de votre teint blafard et de votre propension à fixer les gorges de vos potentiels victimes. Non pas que cela me dérange, je suis habituée...

Rosalia ricana quand Wynn lui fit remarquer qu'il était affamé, tout en dégageant la nuque de la demoiselle. Comme si elle avait quoique ce soit à craindre de lui !

- Oh malheureusement, je crains que vous ne puissiez goûter à ma délicieuse hémoglobine. Voyez vous, je tiens à ma vie...

Elle récupéra son revolver dans la main du violoncelliste et se mit à jouer avec, le faisant tourner autour de son index, visiblement plus qu'insouciante.

- Ne vous inquiétez pas, messire, je ne m'attaque qu'aux vampires qui sont sur ma liste. Et si vous faisiez parti de cette catégorie, vous seriez déjà mort. Je n'ai pas pour habitude de jouer avec de la viande froide. Et tout comme vous, tant que vous ne m'attaquez pas, je n'ai aucunement l'intention de vous tuer. Alors, heureux ? demanda t-elle en s'éloignant de lui, lui tournant obstinément le dos comme si elle n'avait aucune crainte d'une quelconque attaque.

Le jeune demoiselle remit alors son revolver dans le pli de ses vêtements et s'activa à se recoiffer tranquillement, parfaitement détendue et souriante comme à son habitude. Elle épousseta sa robe un peu froissée puis se retourna vers le vampire, toujours souriante.

- J'espère que vous n'avez pas l'intention de nous faire prendre un verre ici ? C'est très peu orthodoxe comme lieu de rendez vous romantique...

Elle s'approcha de lui et mis son visage très près du sien avant de rire et lui caresser la joue.

- Pourquoi ne pas nous rendre dans Nina's Park pour une petite promenade... Ou alors vous désirez un endroit plus chaleureux où nous pourrions souper mais dans ce cas, il va falloir appeler un fiacre, très cher.

Wynn éclata de rire. S'il appréciait l'audace et l'absence de peur de Rosalia, il la trouvait un peu trop confiante. Même s'il s'agissait probablement d'une talentueuse chasseuse, Wynn restait un vampire. Un vampire qui avait la capacité de se changer en un nuage de cendres tout à fait immatériel. Même s'il avait fait parti de sa liste, il aurait été bien plus difficile à abattre qu'elle le prétendait. D'autant qu'il était aussi rapide et discret que n'importe lequel des assassin. Heureusement pour lui, Rosalia ne semblait pas en vouloir à sa vie, ce qui l'arrangeait puisque lui non plus ne lui voulait aucun mal.

-Pardonnez moi si je vous semble orgueilleux, mais je pense qu'il vous faudrait redoubler d'effort pour parvenir à mettre fin à mes jours... Je suis plutôt coriace et même après deux cent cinquante ans passés sur Terre, je tiens à ma vie. Mais j'apprécie votre audace, elle vous honore...

Le vampire alla ramasser son violoncelle, époussetant la surface de cuir de la boite. S'il adorait son instrument, il devait avouer que pour l'heure, il l'encombrait plus qu'autre chose... Mais il n'avait guère le choix.

-Simplement... Tous les vampires ne sont pas les bêtes sauvages et sanguinaires que vous devez abattre régulièrement. Nous sommes capable de nous contenir, et si vous regardez attentivement, nous ne sommes pas si différents des humains...

Wynn avait hésité entre «vous» et «humains», mais il se doutait à présent qu'il y avait quelque chose de plus qu'étrange chez la jeune femme. Elle avait la même prestance et l'assurance des vampires, mais elle partageait une grâce fébrile que seules les humaines possédaient. Peut-être était-elle simplement différente. Le vampire lui sourit.

-Nous avons simplement un régime alimentaire un peu différent... Pour reprendre ce que vous disiez tout à l'heure, la couleur de mes yeux n'a rien à voir avec ma nature... Mais ce n'est pas important! Si vous n'avez pas l'intention de me nuire, nous sommes fait pour nous entendre!

Wynn espéra sincèrement que la jeune femme ne s'intéresserait pas de plus prêt à ses yeux. Elle semblait intelligente et perspicace, il allait devoir s'en méfier. Il n'avait vraiment aucune envie que quelqu'un vienne l'ennuyer avec ça...
Même lorsqu'il était humain, sa couleur d'yeux avant tendance à fasciner les gens. Encore plus rare que le gris perle, le violet était une couleur étrange que l'on ne trouvait que chez quelques personnes. Ajoutez-y une cornée totalement noire, et vous obtiendrez un parfait cocktail insolite! Habituellement, les gens n'osaient pas faire de remarque sur ses yeux et se contentaient de le fixer. Rosalia devait être la première personne à lui dire ouvertement ce qu'elle en pensait, et sa réaction avait quelque peu dérouté le vampire.
Il reprit contenance lorsqu'elle approcha son visage du sien, lui souriant d'un air charmeur en la fixant.

-Cet endroit n'est pas très accueillant, je vous l'accorde... Nina's park me semble être un bon choix! Je vous suis!

Wynn suivit Rosalia sans un mot. Certes, elle devait probablement le tester, chercher à savoir s'il préférait les lieux fréquentés ou non, mais Wynn affectionnait tout particulièrement le calme et la quiétude des parcs la nuit. L'ambiance étouffante et bruyante des salons et cafés l'agaçait, et il n'avait nullement l'intention de continuer à jouer un rôle. Même s'il avait faim, et qu'il détestait autant le sang d'animaux que ces infâmes comprimés qu'on faisait avaler aux vampires pour remplacer le sang humain.

-Tous les chasseurs que j'ai croisé m'ont toujours regardé avec haine ou dégout, comme si j'étais le responsable de tous leurs malheurs, dit-il en levant les yeux au ciel, mais je n'ai rien remarqué de tout cela chez vous... Vous m'impressionnez de plus en plus, et sachez qu'il s'agit d'un compliment. Vous ne semblez ni effrayée, ni dégoutée... Vous avez juste l'air... Amusée?

Wynn la regarda un instant avec un étonnement et un intérêt qu'il n'aurait su masquer derrière un apparent dédain. Sa réaction l'intriguait en honnêtement, il n'était plus sûr de savoir comment s'exprimer avec la jeune femme.
Il aurait voulu chasser cette attirance qu'il ressentait, car il savant liée à Elizabeth. Et pourtant, Rosalia était indéniablement différente de sa fiancée. Son caractère était plus piquant, plus sulfureux, même qu'elle ne l'avait été. Préférait-il cela? Il n'en était pas tout à fait sûr. A vrai dire, pour le moment il n'était sûr de rien.

(HRP: Suite ici)