L'Ombre de Londres
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La capitale vit dans le chaos : les Vampires complotent toujours, les Hunters s'allient et s'organisent, les Alchimistes se révèlent, les Lycanthropes se regroupent et les Loups-Garous recommencent à tuer !

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Abysses [Comte] [06/04/42]

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Comte Keï
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Comte Keï
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Date d'inscription : 01/11/2007
Race : Vampire
Classe sociale : Aristocrate
Emploi/loisirs : Lord / Comte de Scarborought / Metteur en scène
Age : 589 ans
Age (apparence) : 28 ans
Proie(s) : Les Humains (pour se nourrir), les Vampires (secret)
Secte : Indépendant
Clan : Ventrue
Lignée : Kyasid (les ombres)
Rang Pyramidal : Premier
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MessageSujet: Abysses [Comte] [06/04/42] Abysses [Comte] [06/04/42] Icon_minitimeVen 28 Mar - 1:39

[HRP/Suite des catacombes et du post "Un goût de péché originel"/HRP]

Chapitre V – Le Substitut

Pendant le long trajet qui séparait les catacombes et le repaire du Comte, la petite Jenny n'avait cessé d'observer d'un œil attentif la belle et grande Maria qui se tenait aux côtés de son maître. Depuis qu'elle avait glissé sa lame sous la gorge du Vampire qui avait tenté de le tuer, la jeune femme le suivait comme son ombre, prête à l'aider de nouveau si cela devenait nécessaire. La garde de son fleuret battait ses hanches souples au rythme de ses pas et son regard, qui ne quittaient plus la silhouette imposante de son aîné, flamboyait dans l'obscurité des tunnels. C'était une femme magnifique, svelte, élancée et dynamique. Ses cheveux ondulés, lâchés dans son dos comme une folle crinière de ténèbres, suivaient son mouvement dans un flot gracieux, semblable à ces gitanes que l'on voit parfois danser à la manière des Bacchantes autour des flammes de leur campement. Elle était vêtue comme un homme d'un pantalon sombre et d'un long manteau. Elle portait même certainement une chemise à col en dessous. Ses bottes de cuir remontaient jusqu'à ses fins genoux et leurs lacets claquaient contre son tibia à chacun de ses pas. Elle avait quelque chose de guerrier dans sa démarche, pourtant son visage était si doux...

Jenny jetait sur elle un regard à la fois curieux et admiratif. Cette femme semblait forte, très forte. Elle était capable d'accomplir de grandes choses pour son maître. Cela semblait évident. N'avait-elle pas osé menacer l'un des siens afin de le sauver ? C'était sans aucun doute un être parfaitement dévoué et fidèle qui irait jusqu'à se compromettre toujours davantage si cela pouvait servir les desseins de son maître. Elle semblait prête à le soutenir jusqu'à faire face à un danger mortel, jusqu'à défier les plus hautes lois et peut être même irait-elle jusqu'à la mort pour lui.
A quel point cette femme aimait-elle donc son maître ?
Jenny la sentait fébrile et inquiète. A mesure qu'ils progressaient les interminables tunnels des sous-sols de Londres, la petite avait remarqué que l'aspect froid et résolu qu'elle affichait était brisé par ses grands yeux fauves empreints, eux, de tristesse et de peur. Elle secondait le géant aux cheveux blancs en esquissant régulièrement des gestes comme pour le rattraper. Elle était prévenante, peut être un peu trop pour que cela puisse étouffer ses sentiments.

Continuant à observer les membres du groupe qu'elle composait avec le Comte et ses sbires, Jenny s'attarda sur le grand noir qui tenait Peter, le plus petit d'entre-eux, endormi dans ses bras. Elle remarqua que sa carrure était particulièrement robuste et que son regard d'aigle semblait scruter les ténèbres comme pour y déceler le moindre piège. C'était un être puissant, son aura était plus forte que celle des autres. Quel était donc son rôle dans cette troupe ? Il semblait redoutable...C'était lui qu'elle avait vu arriver dans l'ombre, si discrètement que nul ne l'avait remarqué avant qu'il ne frappe de ses aiguilles empoisonnées. Quel étonnement lorsque les Vampires s'étaient écroulés ! Joyce lui avait pourtant dit qu'ils ne craignaient plus ni la mort, ni le poison, ni la madie ! Qu'avait-il donc utilisé ? Elle ne comprenait pas et cela lui faisait peur.
Puis ses yeux glissèrent sur la femme aux cheveux roux. Elle sourit. Son beau visage lui plaisait autant que ses tâches de rousseur. Elle, elle paraissait joyeuse, malgré la situation et l'environnement lugubre qui les emprisonnaient. C'était comme un rayon de soleil dans la pénombre. Comment pouvait-elle paraître en si bonne santé alors qu'elle était des leurs ? Buvait-elle donc souvent au cou de quelques Humains de choix ? Jenny savait que la qualité du sang bu avait une incidence sur l'aspect physique que l'on conservait. Le petit Garry qu'elle portait contre son sein rebondit avait peut être de quoi se faire du souci...Mais ces boucles...surtout...elle les désirait, tout simplement. Pourquoi n'avait-elle pas les mêmes cheveux ?! Les siens étaient blonds, c'était joli, mais ils restaient tout droits, raides comme les blés dans un champ sans vent. Quel dommage !
L'autre, le grand blond qui la tenait dans ses bras, avait une tête de tueur. Elle ne lui trouvait aucune sympathie, et pourtant elle ne pouvait s'empêcher de penser qu'il devait être aimable derrière cet air grognon. Il la tenait contre lui sans lui faire de mal, avec précaution et souplesse. Elle pouvait sentir son parfum, agréable fragrance d'homme, et la douceur de ses vêtements réveillaient en elle une envie de dormir particulièrement forte. Son menton carré lui donnait un air viril, pourtant il ne portait pas de barbe. D'ailleurs, aucun homme ici n'en portait. C'était étrange...

Alors qu'elle s'agitait régulièrement, Jenny finit par se calmer tout à fait. Les longs tunnels que le groupe parcourrait maintenant depuis près d'une heure dans les égouts pour atteindre les dessous de l'opéra lui paraissaient désormais interminables. Même pour elle, nouvelle-née vampirique pleine de vie, cette obscurité poisseuse, ces odeurs méphitiques et ces secousses étaient une épreuve. Elle voulu descendre pour marcher d'elle-même et ainsi espérer voir le temps passer plus vite, mais ce fut une erreur. Marco la laissa aller devant lui quelques temps mais dès qu'elle se mit à trébucher en emmêlant ses propres pieds, il lui posa une main sur l'épaule pour lui conseiller de se laisser porter à nouveau. Jenny refusa tout d'abord mais bientôt elle ne su pas tenir le rythme de ses aînés. Finalement, une main la souleva contre son gré et elle s'endormit, comme les deux autres enfants, dans les bras de l'Allemand. Pour elle, c'était une de « ces personnes étranges qui étaient venues les sauver », elle pouvait l'accepter.

Son dernier regard fut pour celui qui avait tué Joyce. Sa taille était impressionnante, même à côté du grand noir, et ses longs cheveux blancs l'attiraient comme une flamme invite le moucheron téméraire à venir brûler sur elle ses ailes diaphanes. Il avançait d'un pas ferme et décidé, rapide et silencieux, mais la manière qu'il avait de se tenir régulièrement la tête et de soupirer dans un grognement rauque révélait qu'il n'était pas dans sa meilleure forme. Un léger boitement lui donnait d'ailleurs une démarche bancale. Après tout, il avait lutté contre son maître et, même si elle n'avait pas assister à ce combat, elle imaginait assez bien ce que cela avait pu être. Et puis il y avait eu ce piège étrange, plein de lances noires...Pourquoi ne saignait-il pas ? Elle ne comprenait pas comment il avait pu être transpercé de part en part sans verser ne serait-ce qu'une goutte de sang. De quelle matière étaient donc faites ces tiges hérissées de pointes ?
...
« Keisuke »
« mes proies »
« tout ceux que tu as dévorés avant lui »

Tout se mélangeait dans sa petite tête. C'était un comte, son nom était Keisuke, ses cheveux étaient blancs comme la neige et son regard noir comme la nuit.
Pourquoi était-il venu la chercher dans les catacombes ? Pourquoi avait-il pris aussi Garry et Peter ? Il paraissait si sûr de lui...et tellement fissuré...
C'était certainement pour cela que la dénommée Maria restait à côté de lui...
Un jour, peut-être que Jenny aussi serait assez grande elle aussi pour l'aider? Oui...Un jour...Peut-être...


******************

Manouk alluma de ses immenses mains noires les chandeliers de la Salle du Conseil. Elle qui accueillait uniquement les Sept et les invités de marque dans de rares occasions, pour planifier des massacres de Loups-Garous, des descentes chez les Hunters, des arrangements financiers à haute échelle ou même la régie d'un Accolyte emmuré vivant, allait servir pour la première fois de salle de réunion alors que l'aube pointait son nez. La belle au doigts de rose était déjà dangereuse pour les Vampires et la plupart d'entre-eux avaient regagné la sécurité et le confort de leurs cercueils mais, à son retour, le Comte avait immédiatement convoqué ses disciples et quelques uns de ses élèves pour un conseil d'urgence. Ils ne pouvaient pas dormir maintenant, pas encore...

L'Africain soupira. Jusqu'où irait donc la folie de son maître ? Désirait-il mourir avant d'avoir accomplit ce pour quoi il avait survécu tout ces siècles ? Il commençait à prendre bien trop de risques qu'il jugeait inutiles. Finalement, Salluste avait peut être raison : il se pouvait que le Comte soit déjà trop fortement rongé par la dégénération pour réaliser ses plans...
Secouant la tête pour refuser cette option, Manouk installa les deux chandeliers sur la vaste table cirée. Le bois refléta sa figure d'ombre et ses colliers ethniques. Son regard se perdit sur cette surface lisse et striées de lignes foncées.
Pourquoi ne leur faisait-il pas confiance ? C'était cette question qui avait rendu fou Salluste et l'avait conduit à se comporter de manière stupide en présence de leur maître. Mais si lui aussi commençait à se la poser, qu'allait-il advenir de leurs projets ? L'harmonie n'avait jamais été entière entre les Sept, et Jirômaru n'avait jamais que dévoilé une partie de ses intentions. Jusqu'ici tout fonctionnait sans ces données, mais peu à peu la fine trame de leur histoire c'était mise à onduler et son fil à se dégrader. Il ne suffisait plus que d'un rien pour qu'elle s'effiloche totalement et ne se rompt...

La porte s'ouvrit. La réunion débutait.  
Jenny et les deux enfants avaient été conduits dans des chambres et placés sous bonne garde avant que ce qui restait des Sept, c'est-à-dire Maria qui entrait maintenant, Marco, Ambre et lui-même, ne rassemble les plus anciens élèves du Comte alors présent dans la crypte sous l'opéra. Au nombre de quatre, Jirômaru les appelait les « généraux ». Ce soir, il les invitait à venir siéger exceptionnellement en ces lieux sacrés pour débattre avec eux au sujet de la démarche qu'ils auraient à suivre dans les prochains jours.

Le Comte entra et Manouk s'effaça pour rejoindre les autres. Leur maître présidait en bout de table, comme toujours. Son air semblait redevenu froid et distant. Ses iris étaient toujours brunes mais un mince voile blanchâtre le recouvrait déjà. Finalement, il n'avait donc pas « guéri » ? Peut-être que c'était cela qui rendait son regard si âpre. Il s'était rafraîchit rapidement mais il conservait une démarche claudiquante. Son genoux droit...encore ?
Une odeur...
Une odeur de Blood Tablette rôdait dans son sillage...
N'avait-il pas eu assez du sang de Joyce ? C'était impossible...
Manouk sentit son regard tomber sur lui et l'évita en baissant rapidement la tête. Il avait lu ses pensées, cela ne faisait aucun doute ! Il valait mieux rester silencieux et focaliser son esprit sur ce qui allait se dire...Inutile de se questionner d'avantage sur les petits trafiques personnels de son maîre.


*Pardonnez-moi...*

Jirômaru ne sembla pas s'en préoccuper plus que cela. Il avait de nombreuses choses à mettre en place à partir de cette nuit et particulièrement la défense de son repaire, c'était une tâche qui nécessitait de la concentration, d'autant qu'il sentait monter en lui une étrange nausée qu'il n'arrivait pas à calmer. Il fallait que la réunion soit brève, très brève...

De fait, la réunion ne dura pas très longtemps. Une heure tout au plus. Et, à vrai dire, il n'y eut pas réellement de débat. Jirômaru y donna diverses explications et surtout ses instructions pour que la suite de son opération dans les catacombes n'aie pas de retombées dramatiques. Il exposa à l'ensemble des fidèles qui était présent la démarche à suivre. A ses yeux, il était clair qu'après « la punition » de Joyce et son combat contre Rowe, la Camarilla pouvait se rebeller à tout moment contre son autorité et son statut de « Prince » de la ville jusqu'à oser prétendre venir le juger chez lui. Même s'il doutait que les membres de la Secte fassent le boulot eux-mêmes et rapidement, il ne voulait pas que ses disciples ignorent le danger qui les menaçait désormais concrètement : il souhaitait clarifier la situation avant qu'elle ne se complique d'avantage et qu'il ne risque de tout perdre. Il avait encore besoin de ses sbires pour arriver à ses fins. L'Ombre n'allait pas tarder à bouger et chacun devait se tenir prêt à assumer son rôle au sein de cette folie.

Joyce avait donc été puni, ce serait un exemple pour tout ceux qui oseraient songer à bafouer les lois ancestrales, il n'y avait rien à y redire. Quant à lui, il avait pris son pouvoir dans le but évident de ne pas le gâcher et de s'en servir pour le bien de sa communauté. Tous seraient un jour au courant de l'affaire, c'était inévitable, il préféra donc le clarifier ainsi, immédiatement, même si « clarifier » signifiait chez lui « menacer le premier qui oserait remettre en doute le bien fondé de ses actions », surtout dans cette situation. Désormais, l'Opéra serait doublement surveillé ainsi que son manoir qui lui servait de demeure « diurne ». Les plus jeunes auraient un couvre-feu et les diplomates devraient se tenir prêts à assurer un échange cordial avec la Camarilla quoi qu'il arrive. Seules les lois ancestrales et de nouvelles alliances éviteraient désormais la guerre civile...

Jusqu'à la fin de la réunion, Jirômaru montra un visage aussi droit et inaltérable que possible. Il la dirigea en tant que chef inconditionnel, exemple d'autorité et de fermeté. Mais, à peine les quatre généraux eurent-ils franchi le seuil de la salle qu'il se laissa lourdement tomber sur son siège en grognant de douleur. Maria jeta un regard inquiet à Manouk tandis qu'Ambre fermait la porte à la hâte pour éviter d'un des derniers élèves ne remarque cet état de faiblesse. Marco leva les yeux au ciel et s'agenouilla devant son maître.


- Maître ! Pourquoi ne pas vous être immédiatement couché ? Tout ceci aurait pu attendre demain ! Nous aurions pu prendre le relais avec vos instructions ! Qu'avez-vous avalé ?

Le Comte lui jeta un regard noir sous le rideau immaculé de ses cheveux blancs en bataille. Sans répondre, il se détourna de son disciple pour pencher la tête en arrière et soupirer. Il crispa sa main droite sur son cœur.

- J'ai...accompli mon rôle...A vous d'accomplir le vôtre maintenant...

Maria le rattrapa en même temps que Marco alors qu'il basculait sur le côté. Dans un mouvement d'une brusquerie sans nom, le Comte plaqua alors sa main sur la table devant lui pour reprendre appui de lui-même. Ses ongles s'enfoncèrent aussitôt dans le bois, à travers ses gants blancs qu'il déchira, et y grava une marque incroyablement profonde. Manouk vint à la rescousse pour soutenir le géant qui s'affaissait encore malgré tout. Les ombres grandirent autour des chandeliers et plusieurs bougies s'éteignirent. Le Comte se leva, aidé de ses disciples et se dirigea vers sa chambre en les repoussant tous, un par un, refusant qu'on l'aide d'avantage.

Humiliant. Oui...C'était le mot.


******************

Allongé dans son immense lit à baldaquins, Jirômaru soupira enfin.
Seule Maria était restée à ses côtés, les autres ayant essuyé trop de grognements et de secousses pour ne pas se laisser écarter. Après tout, leur maître avait besoin de repos et le déranger d'avantage était stupide. Avant de partir, Marco avait jeté un regard venimeux à Maria qui lui avait répondu en lui montrant les canines.
Assise sur un siège près du lit, elle regardait son maître ciller. Ce dernier avait une main sur son front, signe évident d'un malaise. Il gardait par ailleurs sa bouche à moitié ouverte, laissant ses crocs d'ivoire saillant contre ses lèvres étirées.
Que lui arrivait-il ? Était-ce le sang de Joyce ou l'Entrave qui l'affectait autant ? Étaient-ce les Blood Tablett qu'il venait d'ingurgiter ?
Maria espérait de tout cœur que ce ne soit que le résultat d'une grande fatigue. Mais la pâleur du visage de son maître l'alertait. Lui qui venait de leur dire qu'il avait entièrement dévoré Joyce et qui avait, selon toute vraisemblance, consommé des palliatifs à l'instant, aurait dû se retrouver avec quelques couleurs. Il paraissait n'avoir rien avalé depuis des lustres, c'était effrayant !


- Maître ? Avez-vous besoin...de mon sang?

L'absence de réponse fut, pour elle, peut être pire que les habituels refus violents que Jirômaru lui faisait en tant normal. Le Comte ne semblait pas se préoccuper de sa présence. Il gardait les yeux fermés dans ce lit moelleux qu'il avait toujours fuit pour dormir. Il était toujours entièrement habillé. Sa cape rouge, déchirée en de multiples endroits, laissait apercevoir la blancheurs des draps sur lesquels il reposait maintenant.

- Maître?

Maria fit une grimace. Dormait-il déjà ? Peut être...Sa respiration semblait plus régulière, lente et tranquille. C'était tant mieux, il fallait qu'il se repose. Nul ne savait ce qui s'était réellement passé dans les catacombes mais tous se demandait comment il avait pu prendre le pouvoir de Joyce sans en souffrir plus visiblement. De toute évidence, la lutte mentale avait dû être privilégiée...

Doucement, la jeune femme enleva les bottes de son maître. Ces dernières avaient souillé les tapis et les draps. La tâche ne fut pas aisée mais Maria réussit finalement à les ôter. Puis, elle regarda le Comte d'un air bienveillant. Elle aurait voulu lui enlever son manteau et le mettre ne chemise pour qu'il soit plus à l'aise. Mieux encore, elle aurait voulu le glisser dans son cercueil d'ébène pour qu'il puisse se reposer pleinement. Mais elle n'était pas assez forte.

Avant de quitter le chevet, elle éteignit l'ultime lampe à huile qui éclairait la pièce. Son souffle accompagna le filin de fumée qui s'échappa de la mèche, laissant quelques instants son emprunte dans l'air et son odeur de cire et de feu. Maria soupira. Puis, en silence, elle s'éloigna du lit pour sortir de la chambre.

   
******************

Une vague, un océan, une rivière...sous-sol bleuté...
Caverne de palpitations...
Douce écume de souvenirs...
Palpitations...mes doigts vous sentent...
...saccadées...
Pourquoi ?


« Il meurt. »

Non pas sans moi...

Surface lisse et douce, du velours, une femme, quelle splendeur...
Ces fils de soie...toiles immortelles...
Ta chaleur, ta souplesse...

Comme j'aimerai te toucher...

« ce n'est qu'un rêve... »

Non...
Pourquoi retarder l'inévitable ?
Pourquoi fuir ?

Cette odeur...
Doux candélabre...

******************

- Je rêve, souvent, d'un endroit magnifique...plein de brume et de chaleur, un endroit bleu, comme tes yeux...Sarah, et doux comme le velours, comme ta peau...J'y marche et j'y cherche quelqu'un...

La main de Maria s'arrêta sur la poignée de la porte. Le Comte avait dit quelque chose dans son sommeil...Ou bien il lui avait parlé...Lentement elle se retourna mais il était déjà contre elle...
La cape de sang reposait à terre et sa main, étirée comme une araignée, restait crispée sur la porte pour l'empêcher de sortir. Prisonnière entre ses bras et la porte, Maria se sentit minuscule face au géant qu'était son maître. Elle baissa le regard, ne sachant plus où se mettre. Le Comte avait retrouvé ses yeux de brume et paraissait encore plus effrayant qu'auparavant. Ses cheveux en bataille qui ombraient son front lui donnaient un air fou mais le pire, c'était ces canines saillantes qui lui souriaient dans une expression terriblement carnassière.

Maria cilla. La peur la prit. Dieu seul savait de quoi était capable le Vampire en cet instant! Plaquant son dos contre la porte pour tenter de s'éloigner légèrement de son aîné, Maria lui sourit faiblement. Peut-être n'aurait-elle jamais dû lui proposer son sang...


- Je...Seigneur... ? Que...Que vous faut-il?

Le Comte enroula alors une de ses mains autour de la taille parfaite de la jeune femme et l'obligea à rester contre lui. Ses lèvres cherchèrent les siennes dans un soupir fiévreux et finirent par les trouver. Il embrassa alors la belle avec fougue. Son baiser fut long et profond, particulièrement sensuel. Sans qu'elle ne puisse s'y soustraire, la jeune femme tiqua d'abord mais elle se laissa presque aussitôt faire et, portée par ses propres sentiments, elle s'abandonna tout d'un coup.

Jirômaru l'embrassa de plus en plus vivement. D'abord furieusement dans le cou, puis près de l'oreille, sur les tempes, de nouveaux sur la bouche, ensuite sur l'épaule, dans son col...Maria en fut complètement désarçonnée. Que devait-elle faire ? Que voulait réellement son maître ? Était-ce son sang ? Était-ce son corps ? Et elle... ? Que désirait-elle ?

Lui dans son entier...
Tout...Depuis toujours...

Le Comte égara bien vite ses mains et Maria suivit son mouvement. Elle le dépouilla de sa chemise tandis qu'il lui enlevait son manteau et sa flanelle avant de s'en prendre à sa chemise à elle aussi...Ses mains trouvèrent rapidement ses seins. La porte trembla sous ses insistances.


- Laisse...Commença le Vampire dans un soupir tout en mordant doucement l'épaule de sa disciple.

Maria leva les yeux au plafond dans un élan de plaisir. Elle avait rougit et déjà son coeur battait la chamade. Cela faisait deux siècles que le Comte l'avait délaissée dans son rôle d'amante. Son bonheur, quoique teinté de crainte et d'incompréhension, était démesuré. Ce fut ce bonheur, cette joie retrouvée, qui lui dicta ses paroles:


- Tout ce que vous voulez...Vos désirs sont des ordres...Ho...Maître...

Le Comte laissa sa langue descendre sur son sein rebondi qu'il pressa avec force.

- Laisse-moi t'appeler Sarah...

Maria sentit monter en elle une vague de honte et de colère mais aussi une vague de plaisir alors que Jirômaru lui mordait le mamelon. Elle ne répondit que par un soupir coupable.
Le Comte la saisit alors par la ceinture de son pantalon et, dans une danse des plus érotiques, l’amena jusqu'au lit où il la laissa tomber mollement dans les édredons. Laissant la belle enlever ses propres bottes, il défit son pantalon et se retrouva bientôt nu comme aux premiers temps du monde. Maria l'accompagna bien vite et tout deux se lièrent pour entamer la plus folle des épopées, celle de l'amour sauvage, de l'assouvissement du désir, de la cruelle incarnation de Voluptée.


- Ho...Sarah...Sarah...

Le Comte se laissa aller à ses habitudes sexuelles, celles de la tendresse et de la brutalité mêlées, celle de l'amant que l'on trouve dans les romans mais aussi celle du goujat moyenâgeux qui prend ce qu'il désire prendre sans en avoir forcément le droit. La résurgence de ses vices les plus profonds ne tardait jamais. Maria fut manipulée comme une poupée, placée selon sa volonté, selon ses envies et ses désirs. La jeune femme se laissa faire, enflammée de cette sensation grisante qu'accorde volontiers le corps dans pareille bataille. Mais ce nom... ! Ce nom qui revenait à ses oreilles et qui la blessait terriblement... ! A chaque coup de bassin que lui donnait le Comte, il le prononçait, écho douloureux de sa frustration à lui, écho horrible de sa place à elle. Comment pouvait-elle le supporter ? Elle n'avait pas le choix. Arrêter Jirômaru dans pareille situation serait s'attirer son mépris le plus total ! Elle devait le supporter. Elle devait apprécier l'instant malgré tout...
Ne l'avait-il pas choisie elle plutôt qu'Ambre ? Ne l'avait-il pas tendrement enlacée... ?

Douce illusion.


- Sarah...

La soumission de Maria facilitait terriblement la tâche du Comte. Il pouvait, à loisir, imaginer la jeune Huntress à la place de sa disciple et s'adonner entièrement à ce tourbillon de sensations que leurs deux corps liés dans la nuit lui offraient maintenant.
Sarah...ses longs cheveux bruns, ses yeux bleus, sa peau, ses seins...Oui...Il avait déjà eu un avant-goût de son corps...Il pouvait le reconstituer même s'il dominait en cet instant celui d'une autre...Son parfum enivrant, le goût merveilleux de son sang...
Sarah était magnifique. Elle serait bientôt totalement sienne! Et ce serait lui qui jouirait de sa virginité!


- Ho...Sarah... !

Dans son extase, le Comte ferma les yeux pour savourer ce moment de plaisir. Ceux de Maria s'emplirent de larmes. Jirômaru ne l'avait jamais aimée et ne l'aimerait pas plus maintenant qu'auparavant. Elle ne lui avait toujours servi que de substitut...

Abandonnée sur le lit, la jeune femme pleura en silence tandis que le Comte se levait, sans même lui accorder un regard, pour regagner son cercueil et s'y enfermer.
Le velours accueillit le Vampire avec douceur alors qu'il soupirait encore de son acte. L'image de la Huntress s'estompait, celle des ténèbres prenait déjà sa place. Son corps entier réclamait justice. Il était temps de se laisser aller au sommeil.

C'était sans aucun doute l'acte le plus égoïste et cruel dont était capable le Comte : celui de briser les sentiments d'autrui, comme il avait été brisé par eux dans le passé.


> Jirômaru Keisuke <

Abysses [Comte] [06/04/42] Comte_10

Shakespeare, Macbeth, I, 4, 1605 :

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Dernière édition par Comte Keï le Jeu 27 Nov - 0:18, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Abysses [Comte] [06/04/42] Abysses [Comte] [06/04/42] Icon_minitimeMer 28 Mai - 10:08

Chapitre VI – Châtiments

Aux yeux des mortels, l'Opéra semblait dormir paisiblement. Ses lourdes paupières étaient fermées, ses colonnes veillaient à la lueur des lampadaires sur le trottoir et seul le vent qui s'engouffrait sous ses arcades calcaires donnaient un semblant de souffle à sa vieille figure. L'édifice paraissait détendu et rien, ni personne, ne laissait présager aux passants tardifs et aux chats errants les drames qui torturaient ses entrailles. Car si les lustres et les chants qui l'habitaient le soir restaient éteints en cette heure matinale, si du par-terre au poulailler les sièges fatigués reposaient leurs fibres de velours carmin, de nombreux murmures frôlaient ses murs glacés, étirés en longs soupirs de crainte et de colère. Le cœur de l'Opéra battait la chamade dans sa poitrine nue et de ses tripes lacérées montait un puissant gémissement...

- C'est bon ? Tu as eu ce que tu voulais?

Marco se tenait-là, appuyé contre un mur de la salle du Conseil. Les bras croisés sur sa poitrine, il dévisageait Maria d'un œil sévère, sans pitié. La jeune femme lui jeta un regard venimeux, plein de colère, mouillé de larmes. Ces dernières avaient creusé des sillons le longs de ses joues, noyant son beau regard de lierre frais dans un flot nacré. Sans répondre à son confrère, elle s'assied sur une chaise. Sa chemise n'était pas reboutonnée jusqu'en haut et ses joues étaient encore rougies de ses efforts. Elle se pencha en avant pour remettre ses bottes. L'affaire n'était pas simple, d'autant qu'elle hoquetait encore. L'Allemand soupira d'exaspération en détournant le regard.

- T'es vraiment stupide...Reprit-il d'un ton agressif. A quoi est-ce que tu t...

- Alors c'est c'que tu penses?! Le coupa la belle dans un étranglement aiguë tout en lui jetant un regard furieux. C'est c'que tu penses?!

Ses larmes redoublèrent. S'affairant à enfiler sa botte droite, elle s'énerva sur les lacets de cuir. Marco détourna à nouveau le regard et serra les dents. L'envie de frapper cette femme lui était venue aussi soudainement qu'un éclair frappe le sol. Maria se mit à l'ignorer. Continuant de lasser sa botte sans cesser de trembler, elle renifla et tenta de contenir ses pleurs. Ce qu'elle venait de vivre était d'une difficulté que l'Allemand ne pouvait comprendre. Elle était humiliée et terriblement triste. Et pourtant elle était aussi fière et heureuse. Offrir son corps au Comte pour répondre à sa demande l'avait transcendée de joie, mais qu'il imagine à sa place une autre femme, qu'il prononce ce nom honni au milieu de son extase, qu'il l'abandonne ensuite comme un linge souillé sans se préoccuper d'elle...tout cela l'avait détruite. Marco pouvait bien la blâmer, jamais il ne connaîtrait pareille contradiction, jamais il n'aurait à souffrir de cet appel, de ce rejet, de cet amour...Du moins le croyait-elle.

Maria finit de lasser sa botte et passa à la suivante. Accrochée à cette tâche comme un marin s'agrippe à une bouée en plein naufrage était une manière pour elle de ne pas sombrer dans l'amer désespoir. Jamais elle ne releva les yeux pour regarder Marco qui l'observait maintenant avec hésitation. Au bout d'un moment, l'Allemand quitta son poste et la rejoignit. Face à elle, il saisit une chaise et s'assied dessus à califourchon. Son regard noir brillait sous ses mèches blondes et rebelles. L'arrête de son menton lui donnait un air cruel. Il soupira et reprit ses remontrances :


- Qu'est-ce qui t'as pris de rester ? À part le déranger ou arriver à...ça...Qu'est-ce que tu croyais faire?

Maria serra les dents et releva son visage autour duquel cascadèrent ses cheveux noirs.

- À ton avis ?! Soulager notre maître est la tâche la plus noble que nous ayons, la plus digne ! Qu'est-ce que tu fais pour lui, TOI ? Tu ne fais que ruminer ta jalousie ! Voilà ce que tu fais ! Tu n'es qu'un JALOUX  La prochaine fois, tu n'auras qu'à prendre ma place puisque tu as l'air de le désirer autant que moi !

Sur ces furieuses paroles, la jeune femme se leva de sa chaise dans un mouvement brusque et voulu partir. Marco lui saisit alors le poignet d'un geste effroyablement rapide avant de se coller à elle et de la faire reculer jusqu'à la table. Les canines sorties, il la maintint fermement de ses deux mains.

- Oui je suis jaloux ! Fit-il avec rage en l'acculant contre le meuble. Jaloux ! Mais pas de toi ! Ho non ! Je suis jaloux de LUI ! Lui qui croit pouvoir toujours tout prendre ! Lui qui obtient toujours TOUT ce qu'il veut !

Malgré les résistances de sa consœur, le Vampire la força à accepter sa soudaine proximité et même à le laisser poser ses lèvres sur son cou. Maria tressaillit, comprenant soudain pourquoi Marco l'avait attendue et combien sa colère était alors justifiée. Pendant que ce dernier l'embrassait près de la trachée, la belle abandonna toute lutte et murmura :

- Depuis quand...Marco? Depuis quand ?

L'Allemand remonta sur son menton et lui mordit la lèvre inférieure. Son ton se fit des plus tristes :

- Depuis toujours...Fit-il en la fuyant du regard comme un homme honteux de ses aveux sans pour autant lâcher ses lèvres.

- Mais...pourquoi maintenant?

- Je n'ai jamais...osé...

L'Allemand lui donna alors un long et langoureux baiser. Maria ne résista pas. Cela faisait si longtemps qu'ils se rapprochaient sans jamais oser en discuter...Dans l'étreinte qu'elle lui rendait timidement, Marco serra les dents de rage. Son regard brilla d'une lueur mortelle entre les mèches d'ébène de sa consoeur.

- Je l'aime moi aussi, et pourtant...je le hais.

******************

Les bras en croix sur sa large poitrine, Jirômaru goûtait enfin au doux sommeil. Le velours qui l'environnait donnait l'impression à son corps d'être retourné à ce lieu chéri de son origine, le ventre de sa mère, cet espace sacré qu'il avait perdu trop tôt. Sa mère...Son beau visage lui avait toujours été inconnu et pourtant il ne pouvait s'empêcher de l'imaginer, belle, resplendissante dans son kimono jasmin, ses longs cheveux noirs coiffés d'un peigne d'ivoire, celui que son père avait ramené de sa dernière excursion à la capitale. Mais tout ceci n'était que fantasme. Umiko...Umiko Ryûnosuke...Ce n'était qu'un rêve et un enfant de la mer*...Lui qui n'avait jamais aimé l'océan...Poursuivre son image ne la ramènerait pas. Il ne l'avait jamais connue et il ne la connaîtrait jamais, à moins qu'il ne la rejoigne dans son éternel séjour...

[* Umiko signifie « enfant de la mer » en japonais.]

Le Comte avait l'impression d'avoir passé sa vie à poursuivre des femmes. D'abord celle qui lui avait offert la vie, cette femme qui s'était sacrifiée pour lui, pour son mari, pour leur clan et son pays. Il l'avait cherchée dans ses songes mais il n'avait jamais réussi qu'à trouver son fantôme. Ce dernier avait pénétré ses cauchemars e torturé dans son jeune âge lorsqu'il dormait seul sur son futon, loin de tout, perdu dans les ténèbres. Son père ne lui avait jamais parlé d'elle...Puis il y avait eut Amiri, la belle au jasmin, mariée à une brute sans manière. Son premier chagrin, son premier échec. Jamais il ne l'oublierait. Était alors arrivée la guerre, cette féroce compagne qui lui avait fait parcourir tant de régions avant qu'il ne soit banni du monde à jamais par celui qui devait devenir son maître...Matosaï...Sa lame, la nuit et la lune étaient devenues ses démons, et toutes ces entités féminines l'avaient tour à tour éblouit, aveuglé et finalement meurtri. Il les avait aimées, toutes, mais il les avait aussi bien vite haïes pour leur cruauté, leur caractère indispensable et pourtant douloureux. Mais la femme que Jirômaru avait réellement poursuivie, à la fois de son amour et de sa colère, était Elonie. Cette perfide déesse qui, sous l'apparence d'une belle fleur, avait brandit contre lui un fatal poignard...Elle avait été sa pire erreur, l'instrument qui avait fait à son cœur une fêlure éternelle et qui l'avait rendu aussi cruel. Un amour, une passion, un fol espoir déchu par le vice et la peur...C'était elle qui lui avait infligé son pire estoc. Pourquoi ? Finalement, il ne l'avait jamais vraiment connue elle non plus...sinon pourquoi ce serait-il ainsi fait trahir ? Il l'aurait senti venir, il l'aurait détestée...Mais il avait été aveugle, terriblement aveugle...Par chance, Sarantuyaa avait joué le merveilleux rôle du baume qui devait soulager cette plaie à jamais ouverte. Elle l'avait suivi et le suivrait toujours. Depuis sa naissance, c'était son rayon de lune dans les ténèbres, celle qu'il avait sauvé de la mort, celle à laquelle il avait offert son cœur, son unique enfant...
Aujourd'hui, le Vampire poursuivait Sarah, la fille unique des Spencer, héritière de leur titre, de leur sang, de leur prestige. Une huntress, une magicienne, irresponsable et hautaine. C'était une garce, une peste, une douce distraction, sa future épouse, son futur passage...Pourquoi l'avoir choisie ? Elle n'était qu'une source de problèmes, une poussière insaisissable qu'il tentait pourtant d'attraper du bout des doigts...

Son esprit s'embrouillait.


« T'es malade ? »

« Un peu... »

Et Jenny, Garry, Peter...Qu'allaient-ils devenir ? Les deux garçons seraient envoyés à l'orphelinat avec une somme d'argent conséquente. Peut-être deviendraient-ils Hunters après ce que Joyce leur avait fait subir, cela serait bien naturel. Mais Jenny...qu'allait-il en faire ? L'envoyer dans un orphelinat était inimaginable. Elle était bien trop jeune pour assurer sa propre nutrition, trop instable, dangereuse pour les Humains...Il allait devoir la garder sous l'Opéra ou la tuer...Sa naissance allait contre tout ses principes, contre ses plans-mêmes ! Peut-être pourrait-il la confier à un disciple de confiance ?
Wynn Leichenhalle pourrait peut-être s'en occuper ? Ce Vampire auquel il avait confié Elizabeth, une infante déséquilibrée qui errait sans maître...Avait-il bien fait de lui confier cette gamine ? Il n'en n'avait plus de nouvelle...Non...Son regard ne lui avait jamais plu.
Et Glen ? Son amant pourrait peut-être le comprendre ! Non...Il aussi avait cessé de donner un quelconque signe de vie. L'avait-il donc trahit ? Non...Oublié peut-être ? Comment le pourrait-il ? La lassitude n'était pas envisageable non plus, ils ne faisaient que commencer à se connaître...Et la Mère, cette vieille momie défraîchie qui jouait aux déesses antiques...Était-elle toujours dans sa tête ?

Tant de questions, tant de facteurs...Le tumulte qui siégeait dans son esprit avait atteint son paroxysme. Jirômaru s'agitait dans son sommeil. Il lui semblait impossible de dormir complètement. Quelque chose semblait le menacer. Il sentait contre lui grandir une aura, une puissante aura qui l'écrasait lentement. Son instinct l'incitait à s'éveiller...

Après quelques minutes de grognements, le Comte sentit soudain que l'on pénétrait son aura. Contre son cou, la lame acérée d'une dague en argent vint se poser et, dans une vive gerbe de sang, sa gorge s'ouvrit. Le précieux liquide carmin qui coulait dans ses veines jaillit dans un éventail parfait avant de ruisseler le long de son poitrail dans un flot ondoyant. Le Vampire poussa un hurlement déchirant. Noyé dans son sang, tandis que sa peau grésillait sous l'effet du métal, il trouva cependant la force de lever les bras pour serrer entre ses doigts la nuque de son agresseur.  
Plutôt que de rencontrer de la peau, ses ongles s'enfoncèrent alors dans le bois de son cercueil, y laissant de larges balafres d'échardes. Il repoussa brutalement le couvercle qui heurta le sol dans un bruit sourd puis se leva en titubant avant de cracher du sang. Ses jambes fléchirent, il tomba sur les genoux par-dessus l'ébène de son refuge et se retrouva à quatre patte sur le sol. Il se vidait de son sang ! On l'avait égorgé ! Qui ? Comment ?! Déjà, son corps ne le portait plus. Sans aide, il ne survivrait pas à cette attaque.
 

*Salluste !*

Hoquetant, le Vampire se tint la gorge tout en crachant. Ses longs cheveux s'agrippaient à son visage trempé de sueur et ses membres tremblaient comme les feuilles d'un arbre sous le souffle d'un vent d'automne.

Il fallut un moment à Jirômaru avant qu'il ne comprenne que personne ne l'avait réellement égorgé et que ses cauchemars s'étaient en réalité mariés avec la réalité. Son corps tout entier luttait bien pour sa survie mais aucune lame ne l'avait meurtri. Les mains souillées jusqu'aux poignets, le Vampire se mit à vomir tout ce qu'il avait ingurgité quelques heures auparavant : Joyce n'avait pas fini de lutter et il n'était pas assez fort pour contenir son pouvoir. Maintenant, le rejet s'activait réellement. Pourquoi ne pouvait-il donc pas ingérer un Vampire aussi pitoyable que Joyce ? Son Don Obscur était-il à ce point différent du sien ? Qu'est-ce qui l'empêchait de l'assimiler ? Le Comte ne le saurait certainement jamais mais une chose était certaine : l'accélération du processus de dégénération venait de se mettre à l’œuvre. Sur son corps nu réapparurent les stigmates de cette époque lointaine, celle des glaces, celle de sa seconde mort, celle de la perte de ses cheveux. Sous la forme de taches noirâtres, ils s'étirèrent sur sa peau de neige tandis qu'il vomissait des litres de sang dans un concert de hauts-le-cœur et de gargouillis infâmes. Son aura diminua brutalement et sa souffrance ne fit que s'accroître. Tout ses muscles semblaient au bord de la déchirure, ses ongles s’enfoncèrent dans le tapis pendant que ses cheveux glissaient dans la flaque de vie qui se formait sous lui pour s'en abreuver. Sa respiration se fit plus rauque que jamais, ses jambes tressaillirent et ses pieds eux-mêmes s’agrippèrent au sol. Le pouvoir de Joyce le quittait mais le sien suivait ! Lentement, il perdait le Don Obscur qu'il le rattachait encore à la vie.

Marco entra alors dans la chambre comme un fauve, aussitôt suivi de Maria. Voyant l'état dans lequel se trouvait son maître, ainsi nu, baignant dans un sang noirâtre qu'il régurgitait sans fin, l'Allemand resta figé d'effroi dans l'encadrement de la porte et bloqua l'entrée à sa compagne pour l'empêcher d'avancer d'avantage. Maria s'agrippa à sa chemise et poussa un cri d'horreur face à la scène. Cette vision la marquerait jusqu'à la fin de sa vie. Alors qu'ils écarquillaient les yeux sans savoir quoi faire, les deux Vampires furent brutalement bousculés.


-  Ôtez-vous de là !

Marco et Maria s'écartèrent pour laisser passer celui qu'ils reconnurent immédiatement comme étant Salluste. Ce dernier, échelé, vêtu d'une simple toge blanche, franchit l'entrée de la chambre en traînant son corps épuisé comme le ferait un blessé de guerre sur un champ de bataille. L'Allemand grimaça lorsqu'il passa à sa hauteur : son visage n'avait toujours pas réussi à régénérer une partie de sa joue droite depuis la punition que lui avait infligé le Comte chez le jeune Stephenson, et l'os de sa mâchoire était encore visible sous des lambeaux de chair à vif. Ce spectacle était terrifiant. On eut cru un mort des temps anciens revenu à la vie pour dévorer les vivants...

Sans se préoccuper d'avantage de ses condisciples qui le dévisageaient d'un air stupéfait, le vieux Vampire rejoignit son maître qui s'appuyait maintenant sur le bord de son cercueil pour tenter en vain de mettre un terme à ses spasmes. Sans se soucier du sang qui souillait le sol alentour, il s'y laissa tomber à genoux. Jirômaru releva son regard de brume sur lui, ses cheveux dégouttaient de perles écarlates.


- Prends-le. Fit-il dans un râle en se tenant la poitrine.

Salluste grimaça en le recueillant dans ses bras. Le Comte se recroquevilla un peu et lui agrippa le col en tremblant.


- Prends-le ! Nous ne...pouvons pas le perdre...

Malgré ses tremblements, son regard de brume se planta fermement dans celui de son ami et disciple. Salluste serra ses mains autour de ses épaules et hésita. Laissant son regard glisser sur les stigmates du Come, son visage se décomposa encore.

- Tu es allé trop...loin...Jirômaru...Soupira-t-il avec amertume. Je t'avais prévenu...

- Prends-le...Gémit le Comte en laissant sa tête tomber en arrière.

Maria ouvrit la bouche mais c'était trop tard, Salluste planta ses crocs d'ivoire dans le cou que leur maître lui tendait et se mit à aspirer son sang. Jirômaru ferma les yeux et serra les dents. Cette sensation de morsure...il ne l'avait eue qu'une fois dans sa longue vie, une seule fois : ce jour fatal où Matosaï lui avait volé son humanité...C'était une sensation désagréable, comme si le corps avait conscience qu'on lui prélevait une part, comme si l'esprit sentait qu'on lui arrachait un lambeau. Mais cette sensation devint peu à peu plus agréable...plus douce...Pourtant, à mesure qu'il buvait, Salluste semblait mordre de plus en plus fort.

Face à ce pitoyable spectacle, Marco planta ses ongles dans le cadre de la porte et sortit ses canines. Maria tomba à genoux et ses larmes mouillèrent le sol tandis que l'Allemand s'éloignait d'elle pour rejoindre le duo sanglant. Qu'allait-il faire ? Les séparer ? Prendre le sang du Comte était un des pires crimes possible. Que faire ? C'était lui-même qui l'avait demandé à Salluste ! Peut-être que cela soulagerait leur maître de la présence de Joyce dans son esprit et aiderait son vieux disciple à guérir et à se renforcer ? Peut-être que cela avait finalement complètement son sens ?
Mais à peine Marco eut-il esquissé quelques pas vers eux que le hurlement que poussa Salluste le figea complètement. Maria gémit derrière lui en plaquant ses mains sur ses oreilles tout en cachant sa tête entre ses bras joints.


- HAAAAAAaaa !! Je..ne..peux..PAS...

Salluste tomba à la renverse, pendant que le Comte glissait dans le liquide poisseux sur lequel il dû poser ses mains. Le sang de Joyce eut un effet bien plus terrible sur le disciple qu'il n'avait eu sur son aîné. Glaçant l'ensemble de son torse, il bloqua son cœur et, pendant que le Vampire paniquait, il envahit ses veines de son poison. Les yeux révulsés, le plus vieux des Sept crispa ses mains sur son propre torse, arrachant son vêtement et sa chair avec lui. Un feu dévorant lui déchirait les entrailles, il était incapable de respirer, ses muscles se nécrosaient, sa langue gonflait...Il lui était impossible d'ingurgiter ce sang et son corps ainsi que son esprit le rejetèrent avec tant de force qu'ils se brisèrent de concert.
Jirômaru l'attrapa par le tissu qui restait à sa hanche et le tira à lui dans un élan désespéré.


- SALLUSTE!

Dans ses bras, le Vampire tressaillit une dernière fois et lui jeta un regard vitreux.

- Je...n'aurai...jamais été...assez fort...

- Tais-toi ! Je...Je vais te sauver, tais-toi!

Saluste sourit.

- Ne...ne perds pas de vue...l'objectif...final...

Le Vampire ferma alors les yeux et son aura disparut à jamais. Regardant ses mains ensanglantées et les marques qu'elles avaient laissé sur le vêtement immaculé de son confrère, Jirômaru cru devenir définitivement fou. Le corps de Salluste glissa de ses genoux et la pièce entière vacilla entre la réalité et l'ombre de la Salle Noire qu'il invoquait maintenant sans le vouloir. Marco réagit aussitôt. Il retourna auprès de Maria qui venait de perdre conscience et la saisit par l'épaule avec force pour l'obliger à s'éveiller et à se relever avant de s'enfuir avec elle dans ses bras. Dans la chambre, les miroirs se brisèrent dans un bruit aiguë, les vases japonais éclatèrent et répandirent leur porcelaine en tous sens, les fleurs qui trônaient dans leurs belles bouches rondes se desséchèrent jusqu'à tomber en poussière et l'eau des aiguières devint aussi noire et épaisse que le goudron. Le Comte poussa un hurlement déchirant de tristesse. Collant son visage à celui de Salluste, il se mit à pleurer toute les larmes de son corps dans un râle des plus affreux. Ces dernières se mêlèrent au sang qui les souillait tous les deux pendant que leurs cheveux se confondaient dans une cascade grise et blanche jusqu'au tapis.

La détresse qui figea le Comte dans cette position pendant prêt d'une demi heure vida l'Opéra des Vampires qui l'accompagnaient. Les variations de son aura avaient réveillé tous les acolytes et les disciples qui, dans une crise de panique due à la menace qu'ils ressentaient tous à présent dans les murs de l'édifice, se mirent à fuir par les égouts et les souterrains. Nul ne vint tenter de soulager le doyen par peur d'y perdre la vie, même les membres des Sept encore présents dans l'édifice préférèrent s'éloigner de la chambre de leur maître plutôt que de lui venir en aide.

Ainsi le sang de Joyce fut-il perdu et son pouvoir avec lui. Salluste mourut ce matin-là et le Comte porterait à jamais sur lui la marque de ses crimes et celle de sa fin.


******************


« Heureux l'homme qui ne marche pas selon le conseil des méchants, Qui ne s'arrête pas sur la voie des pécheurs, Et qui ne s'assied pas en compagnie des moqueurs,
Mais qui trouve son plaisir dans la loi de l'Éternel, Et qui la médite jour et nuit !
Il est comme un arbre planté près d'un courant d'eau, Qui donne son fruit en sa saison, Et dont le feuillage ne se flétrit point : Tout ce qu'il fait lui réussit.
Il n'en est pas ainsi des méchants : Ils sont comme la paille que le vent dissipe.
C'est pourquoi les méchants ne résistent pas au jour du jugement, Ni les pécheurs dans l'assemblée des justes ;
Car l'Éternel connaît la voie des justes, Et la voie des pécheurs mène à la ruine. »

[Psaumes, chapitre 1, verset 1]


Jirômaru s'éveilla. L'obscurité était complète. Où se trouvait-il ? Une sensation qu'il n'avait pas connue depuis des siècles s'empara de tout son être : celle du froid. Un long frisson parcourut son échine. Il était nu. Serrant de ses bras son poitrail douloureux, il se leva lentement et se mit à errer dans le néant qui se présentait à lui.

Salluste...Salluste était mort...
Comment cela avait-il pu arriver ?
C'était impossible !
Salluste...
Son aura avait disparue !

Durant un moment, ses pas ne semblèrent marcher sur aucune surface. Tout était noir, il n'y avait ni sol ni plafond, tout était vide et silencieux. Pourtant, il pouvait voir son corps et ses mains pleines de sang...C'était la Pièce Noire...Il en reconnaissait les caractéristiques...Mas pourquoi ne réussissait-il pas à en sortir ? Et cette voix qui chantait les Psaumes...C'était une illusion, une création de son esprit...Il fallait qu'il avance ! Personne ne pourrait venir le chercher en ces lieux maudits...

Après une longue errance, Jirômaru finit par apercevoir une lueur au loin. Lentement, il se dirigea vers elle. Son cœur savait ce qu'il y avait là-bas, c'était la seule source de lumière que cette Pièce eut jamais eue...
Arrivé devant l'objet dont émanait cette lueur, le Vampire s'agenouilla. Face à lui se tenait un squelette poussiéreux, vêtu de lambeaux de tissu pourpre. Il portait un casque de samouraï et lui souriait comme s'il était heureux de trouver-là une nouvelle compagnie.


- Qu'ai-je fait? Soupira le Comte dans un souffle.

« Je n'ai jamais été assez fort. »

« Je savais que ce jour était inévitable. »

« C'est quoi mon existence ? »

Crispant ses mains sur sa tête où entraient mille voix, Jirômaru se recroquevilla sur lui-même et poussa un long gémissement de désespoir. Comment avait-il pu en arriver là ? Comment ?!

« Tu es un criminel, moi je le sais... »

Dans un cri de rage, le Comte se redressa en donnant un revers de la main au squelette devant lui. Le pantin d'os s'affaissa et le casque vola au loin. Son atterrissage sur le sol invisible ne fit aucun son.

-  RAAAAA ! Lâche-moi!

Ce n'était pas le squelette qui le tourmentait, c'était Joyce, mais ce crime dont il l'accusait était un crime semblable à celui qu'il avait perpétré sur son maître, Matosaï, dont il venait de frapper la dépouille qui gisait là depuis des siècles...

S'allongeant sur le sol, Jirômaru serra les poings.
Il allait rester là et mourir. C'était tout ce qu'il désirait à présent. Trop de fois il avait combattu pour en arriver à de semblables drames. Trop de fois...Il était vieux, vieux et fatigué. Sa quête ne pouvait aboutir...jamais...Elle était bien trop haute pour lui...pour qui que ce soit...Même les Hunters et les lois ancestrales ne pouvaient sauver ce monde...Il n'y croyait plus...
Fermant les yeux, le Comte s'abandonna au sommeil. Était-ce là son châtiment ?

Quelques minutes plus tard, un son aiguë réveilla le Vampire dans un sursaut. Ses yeux tombèrent aussitôt sur le casque de samouraï, son casque...Que faisait-il si près de son visage ? Ne l'avait-il pas balancé bien plus loin ? Se redressant dans un grognement de fatigue, Jirômaru se mit sur son séant. Lentement, il prit le casque dans ses mains. Souillant le métal noirci par le temps avec le sang qui  imbibait toujours ses doigts, il observa l'objet en le tournant plusieurs fois sur lui-même. Quelques anneaux étaient brisés et le tissu était décoloré par endroits mais il était très bien conservé. Sur le dessus, son emblème brillait.
Nostalgique, le Comte laissa son regard errer dans le vide.
Que ferait son père dans sa situation ?
Qu'indiquait le Bushido ?
Il le savait...
Ce serait le seppuku.

La Pièce Noire s'estompa et bientôt le Vampire se retrouva dans sa chambre. L’Obscurité régnait en maîtresse sur les lieux avec sa compagne Silence. Le corps de Salluste était toujours là, abandonné dans le sang de Joyce. Ses yeux étaient fermés mais son corps reposait comme un pantin désarticulé dans une position grotesque. Tremblant, le Comte se rendit compte que le casque qu'il tenait un instant plus tôt dans les ténèbres de la Pièce Noire était à terre près de son confrère. Dans une grimace, il se détourna de la scène et avança d'un pas traînant dans la pièce. Il marcha sur des éclats de verre et de porcelaine, la poussière des roses autrefois blanches voleta dans l'air comme de la suie sèche. Au milieu de cette anarchie, le Vampire marcha jusqu'à atteindre une haute armoire de bois laqué. Sa porte, dans laquelle étaient incrustées des fleurs de cerisiers, étaient fissurée de bas en haut. Alors qu'il ouvrait le meuble grinçant, Jirômaru arrêta un instant son geste. Qu'est-ce qui guidait ainsi ses pas ? Pourquoi son esprit le conduisait-il vers cette terrible solution ?
Finalement, le Comte ouvrit complètement l'armoire et s'agenouilla devant pour esquisser un salut traditionnel. Devant lui se dressait son ancienne armure, plaquée de rouge et or, à la fois sombre et brillante. Elle était en parfait état, entretenue durant tout ces siècles avec d'infinies précautions. Sur un étendard posé sur le côté, un symbole d'or luisait sur le tissu noir : une fleur de cerisier enveloppait un croissant de lune et une grue reliés par trois points, le même qui figurait sur le casque. Au pied de l'armure se tenait un daishō* incomplet : seul le katana figurait sur le présentoir, le wakizashi était absent.


[*Duo d'armes du samouraï : une longue lame, le katana, et une plus courte, le wakizashi.]

Lentement, avec respect et appréhension, Jirômaru posa une main sur le fourreau de l'arme. Il ferma les yeux et respira un grand coup avant d'enrouler ses doigts autour de l'objet et de le soulever.

« La voie des pécheurs mène à la ruine. »

« Tu as franchi les limites de l'interdit. »

« Je ne suis pas méchant ! »

« Maître Joyce a dit que tu allais me manger... »

« Même toi tu ne peux briser ces liens ! »

Tant de voix s'agitaient dans sa tête, tant de questions, tant de rage, tant de tristesse...Nul ne lui ramènerait Salluste, nul ne laverait ses crimes.

Le son de la lame qu'il dégaina tinta dans la pièce.


« Ne perds pas de vue l'objectif final. »

La pointe de la lame piqua son torse d'albâtre.
Quel but poursuivait-il ? Tout était devenu si compliqué ! Lui qui était né pour jouer un magnifique rôle, celui du serviteur, celui de l'homme d'arme prêt à se sacrifier pour son seigneur...Qu'avait-il encore à défendre sur cette terre ? Il était loin des siens, tous avaient disparus, c'était devenu un monstre...Sauver l'Humanité était apparu à ses yeux comme le plus sacré des devoirs, mais pour réaliser cette quête il ne posséderait jamais toutes les cartes nécessaires...
Il avait failli, il avait multiplié les pêchers impardonnables, il ne méritait plus de vivre!
Tout lui semblait désormais inaccessible. La fatigue, la honte, la tristesse et le désespoir le terrassaient.

La lame s'enfonça dans sa chair.


« Mieux vaut mourir pour un but que vivre en errance et de n’avoir que regrets et remords sur la conscience! »

Jirômaru arrêta son geste. Son regard tomba sur son emblème et la lame du katana heurta bientôt le sol dans un tintement aiguë. Le Vampire serra les poings et se plia en deux pour les abattre sur le sol. Posant sa tête contre les dalles froides devant l'armoire, il laissa ses larmes déformer à nouveau son visage.

- Je suis un misérable...Sarah...Tu me perds...tu me sauves...que veux-tu de moi ? ….Sarantuyaa...Tu dois te réveiller...Je n'y arriverai pas.

******************

Ses pas ensanglantaient les couloirs glacés pendant que son katana teintait à chaque fois qu'il touchait de sa pointe un mur de pierre. Nu comme aux premiers jours, Jirômaru pénétra dans la Salle du Conseil et abandonna son arme sur la table. Il rejoignit alors la crypte, l'endroit où dormaient tous les acolytes de son domaine. Il n'y trouva personne. Personne sauf Marco. L'Allemand se leva de sa chaise lorsque son aîné entra et lui fit face. Son regard noir en disait long sur sa prudence vis à vis de son maître mais le fait même qu'il soit resté en ces lieux, ultime serviteur, prouvait sa fidélité et sa foi en Jirômaru.
L'ex-samouraï le toisa d'un air fatigué. Marco n'avait cure de sa nudité, mais ses yeux ne pouvaient ignorer les stigmates qui recouvraient le corps du Vampire, ni la blessure qui avait entamé son torse au niveau du coeur. Voyant que son disciple ne cessait de jeter des coups d'oeil à ces marques, le Comte lui sourit :


- La beauté de notre race...

Il ferma les yeux et bascula en avant. D'un bond, Marco le rattrapa et l'allongea sur le sol. Son maître lui parut alors d'une légèreté déconcertante. Son aura semblait avoir disparue et son corps en était incroyablement allégé. L'Allemand observa le visage du Comte. Il dormait et paraissait serein.

******************

Le lendemain soir, Jirômaru s'éveilla dans son cercueil. Lentement, il s'extirpa de son velours et souleva son couvercle noir. Il se sentait vidé de ses forces malgré le repos qu'il venait de prendre et un poids phénoménal pesait sur son cœur. Surpris qu'une lampe à huile soit allumée dans sa chambre, il se leva, trébucha et se stabilisa avec bien du mal avant de s’apercevoir qu'il n'était pas seul. Une figure sombre se tenait-là, assise dans un fauteuil.

-  Manouk... ?Articula-t-il avec peine.

Sortant de son cercueil, le Comte réalisa que les lieux et lui-même avaient été complètement nettoyés. Même si la fragrance du sang restait forte pour son odorat sur-développé, il n'y avait plus de flaque, les tapis avaient été changés, il n'y avait plus de verre ni de porcelaine au sol...Son regard brumeux tomba sur son armoire japonaise : elle était refermée même si la longue fissure qui la balafrait était toujours visible. Non...il n'avait pas rêvé tout ceci...Mais alors comment était-il arrivé là ?

Son disciple s'avança pour lui présenter un long peignoir anthracite. Jirômaru mit du temps à se tourner vers lui. Il était comme paralysé, abasourdi par tout ce qu'il venait de vivre. Lentement, il tendit un bras et se laissa couvrir. Puis, il ramena ses yeux de brume dans ceux du colosse africain.


- Où...est Salluste ?

Manouk grimaça et son regard se fit des plus sombres.

- Nous l'avons descendu dans un des cercueils de marbre...Face à l'air fermé qu'afficha le Comte, il continua: Il est mort, Jirômaru, mort...tu ne peux plus rien faire pour lui.

La flamme de la lampe vacilla et le Comte papillonna des yeux comme s'il tentait d'avaler l'information avec une difficulté sans nom.

- Oui...Murmura-t-il le regard plongé dans le vide alors qu'il cherchait d'une main un appui. Oui...Je l'ai...tué...

Au lieu de reculer, Manouk posa une de ses grandes mains sur l'épaule droite de son maître afin de le stabiliser.

- Marco m'a tout raconté. Il faut te ressaisir, c'est fini, c'est trop tard. Salluste n'était pas assez fort, aucun de nous ne l'aurait été. C'était une terrible erreur que de croire le contraire mais ce qui est fait est fait. Nous avons une centaine des nôtres à conduire et la Camarilla nous menace, ce n'est pas le moment de flancher.

- Une erreur...Oui...

- Jirômaru, fit Manouk avec force pour secouer le Comte qui s'égarait sensiblement, il faut que tu lises les journaux, la situation est plus critique encore que tu ne le penses.

Dans la tête du Comte tournoyaient mille images. Il était cruellement affaibli, affamé, désespéré. Les stigmates qui recouvraient son corps n'avaient pas disparus dans son sommeil et ne disparaîtraient peut être jamais plus. Ses blessures ne se refermaient pas avec la même vitesse que d'habitude et son souffle était rauque. Il paraissait un vieillard et ne semblait plus capable de réagir.

Face au mutisme de son maître, Manouk le lâcha et se dirigea vers une table sur laquelle trônaient trois journaux. Il prit le premier qu'il déplia d'un geste sec pour en montrer la couverture à son aîné. En première page, on pouvait lire le gros titre « Von Ravellow s'échappe de la Tour ! » tandis qu'une gravure du jeune aristocrate envahissait le reste de la page.
Jirômaru fronça les sourcils et s'approcha de son disciple pour vérifier qu'il avait bien lu.


- Qu'est-ce...que ça veut dire?

Manouk prit les devants.

- Le Hunter a été arrêté avant-hier par le Yard chez des prostituées de Whitechapel et enfermé dans la Tour mais il s'est échappé la nuit-même, certainement grâce à des complices. Ce s'est passé pendant que nous étions dans les catacombes...

Le Comte resta muet un moment puis un rire dément monta de sa gorge irritée:

- ..Ha..Haha...HAHAHA ! Manouk recula un peu tandis que son maître saisissait le journal en riant de plus belle. HAHAHA ! Cet Humain est décidément incroyable!

Manouk fronça les sourcils. Cette fois, Jirômaru avait bel et bien perdu la raison. Son rire nerveux était tout sauf rassurant. Lui qui s'était attendu à une vague de colère effroyable et qui s'était tenu prêt à déguerpir à la moindre alerte resta muet de stupeur.
Le Comte lâcha le journal qui tomba à ses pieds dans un froissement. Tournant son regard de brume vers l'Africain, il tendit une main perçant du regard son disciple à travers ses cheveux en bataille.


- Où est mon katana?

Cette fois les ombres grandirent et Manouk serra les dents. Son aîné devenait incontrôlable et bien plus étrange que d'habitude. Le comprendre était devenu impossible.

- Nous...nous n'y avons pas touché, vous nous l'avez interdit...Il est là où vous l'avez laissé je suppose...Je l'ai vu sur la table du Conseil...

Sans un mot, le Comte quitta la pièce d'un pas soudainement vif, comme s'il s'était décidé à agir. Manouk hésita à le rattraper. Que pouvait-il faire ? Il ne savait pas ce qu'il y avait dans la tête de son maître, c'était une situation incroyablement dangereuse pour tous.

Jirômaru entra comme un démon dans la Salle du Conseil. Maria sursauta sur sa chaise, Ambre et Marco aussi. Appuyé contre un mur, Arath, lui, serra les poings. Sans les regarder, le Comte saisit son katana qui avait retrouvé son fourreau. Dégainant sa lame, il se tourna vers Marco et lui planta directement la pointe dans une épaule. L'Allemand poussa un cri mêlé de surprise et de douleur. Maria se leva et recula jusqu'au mur le plus proche, Ambre et Arath se précipitèrent sur le Comte pour lui attraper les bras et l'empêcher de poursuivre son geste. Jirômaru ne se soucia pas d'eux, son regard était entièrement focalisé sur Marco qui gémissait en s'agrippant à sa chaise d'un air terrifié face aux canines que son aîné lui présentait maintenant.


- J'ai interdit qu'on y touche !! Lui hurla-t-il.

- Maître ! Arrêtez ! Salluste est déjà mort!

Repoussant Ambre d'un geste, le Comte serra les dents. Marco sentit la pointe de la lame tourner légèrement dans ses chairs. Il grogna de douleur et sourit d'un air désolé. Il avait compris son erreur et acceptait le châtiment. Le katana de son maître était ce qu'il appelait « son âme », c'était son bien le plus précieux, un bien intouchable, et il l'avait souillé en y posant ses mains pour le nettoyer et le ranger.

- P..Pardonnez-moi ! Je n'ai pas voulu vous offenser...J'ai été stupide !

- Et pourquoi n'as-tu pas arrêté Salluste!?

Le regard de l'Allemand se fit plus dur.

- C'était son choix...Il répondait à votre appel...Qu'est-ce que je pouvais faire ?

Manouk entra et resta figé dans l'encadrement de la porte. Jirômaru ôta alors sa lame de l'épaule de Marco et l'essuya sur son peignoir avant de la ranger dans son fourreau et de lui jeter. Marco grogna et reçut l'arme sur les genoux qu'il rattrapa de justesse. Arath lâcha son maître et recula en baissant la tête tandis que le Comte dévisageait Marco d'un air impérieux.

- Remets-le à sa place.

Perturbé par ce revirement, Marco hésita. Une main sur sa plaie qui saignait abondamment, il se leva et s'éloigna avec l'arme. Maria tremblait comme une feuille. Le Comte se tourna vers elle qui sembla vouloir se faire la plus petite possible.

- Accompagne-le.

Avec un hochement de tête, la jeune femme suivit son condisciple pour regagner la chambre du Comte.

- Maître...Fit timidement Arath.

- Suffit. Organisez la défense de l'opéra contre la Camarilla, comme c'était prévu. Je sors.

Ambre ouvrit la bouche mais ne dit finalement mot. Jirômaru quitta la Salle du Conseil. Manouk voulut le suivre mais il sentit l'aura de son maître grandir, comme si elle se régénérait enfin, et s'arrêta à auteur de la jeune rouquine.

- Qu'allons-nous faire...Manouk? Fit celle dernière en regardant leur maître disparaître.

- Rassembler les disciples, préparer notre défense et prier pour qu'il trouve la force de continuer...

******************

Dans l'air humide du soir, Jirômaru sortit d'une porte latérale de l'Opéra. Respirant d'un grand coup, il referma doucement le passage et s'avança sur les pavés. Il était pieds nus, vêtu d'un simple vêtement de nuit lié à la taille par une ceinture de tissu. Ses longs cheveux blancs flottaient dans son dos.

Levant son regard vers la voûte céleste dont les étoiles brillaient timidement, il soupira. Ses yeux s'emplirent de larmes. Qu'avait-il fait ? Salluste n'était plus...Salluste était mort...Il l'avait tué...avec le sang de Joyce, avec le sien...
L'eau salée coula sur ses joues de nacre. Cela faisait près de 350 ans que le Vampire le suivait...Certes, ils avaient régulièrement des désaccords conséquents et Salluste avait tendance à s'ériger contre son autorité, mais il l'aimait comme un frère...
Était-ce son châtiment pour avoir été aussi vaniteux ? Était-ce le prix à payer pour mener à bien son projet ? Joyce, la Camarilla, Salluste...et maintenant cet Alexender Von Ravellow qui lui glissait entre les doigts...

Le Vampire prit sa tête dans ses mains et laissa sa tristesse envahir chacun de ses membres. La douleur était sourde en son cœur, la vérité trop haïssable pour qu'il l'accepte. Tout s'était précipité, tout était désormais incertain. Que devait-il faire ? Salluste ne reviendrait pas, jamais...

Un chat sauta soudainement d'un rebord de fenêtre et s'arrêta devant lui. Le Comte baissa son regard sur l'animal. Ce dernier semblait hésiter à traverser la rue, comme s'il se demandait s'il venait de tomber sur un prédateur ou non. Ses yeux jaunes réfléchirent la lumière des lampadaires et, d'un bond gracile, il décida de passer par les balcons des maisons voisines pour garder ses distances tout en continuant sa route.
Le Vampire se ressaisit. D'un pas rapide, il reprit sa marche. Non...Salluste ne serait pas mort en vain. Il avait sacrifié sa vie pour lui, il devait donc continuer, avancer, toujours, jusqu'à ce que sa mission soit remplie...


« Marcheur je suis, marcheur je resterai, et dans la poussière laverai mes péchés, d'orgueil et de vanité, jusqu'à retrouver cette Lumière bénie, du Ciel purifié. »

Le Comte disparut dans les ruelles baignées de ténèbres.

[HRP/ Fin du RP à l'Opéra. Suite dans le post ''Plumes entre les barreaux''/HRP]


> Jirômaru Keisuke <

Abysses [Comte] [06/04/42] Comte_10

Shakespeare, Macbeth, I, 4, 1605 :

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Abysses [Comte] [06/04/42]

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